Après « La mécanique du coeur », roman et album écrits par Mathias Malzieu, chanteur de Dionysos, ce dernier a transposé le projet à l’écran pour un film d’animation sombre et poétique. Olivia Ruiz, qui prête sa voix à Miss Acacia, est venue à Genève accompagnée de Stéphane Berla, co-réalisateur du film, pour parler de ce projet fou.
– Stéphane, après avoir réalisé plusieurs clips pour Dionysos, comment Mathias vous a-t-il proposé ce projet de long métrage ?
– Mathias étant un grand fan de cinéma, il avait toujours eu ce fantasme de faire un film. Le travail qu’on effectuait ensemble sur les clips marchait très bien et lui plaisait beaucoup, il me disait souvent après le tournage qu’il nous verrait bien faire un long-métrage ensemble, c’est donc tout naturellement qu’il s’est adressé à moi pour ce projet de « La Mécanique du cœur ». C’est d’ailleurs fou de raconter les débuts de cette histoire. En 2007, Mathias ne savait pas encore qu’il voulait faire un film, il présentait son livre sur le plateau du Grand Journal de Canal + le jour où Luc Besson était invité.
Michel Denisot, le présentateur, lui lance alors : « Et bien ça tombe bien, si vous voulez faire un film il y a Luc Besson juste là…». Cela paraissait fou, et en fait Luc s’est vraiment intéressé et a proposé à Mathias de produire son film.
– Olivia, vous prêtez votre voix au personnage de Miss Acacia, qui est d’ailleurs un rôle écrit pour vous…
– Oui complètement, Mathias s’est nourri de plein de petites choses qui m’appartiennent pour écrire ce personnage. Il n’a pas fait de copier-coller, elle a aussi ses trucs bien à elle… même si je ne vois pas trop lesquels (rires). L’exercice était donc différent pour le doublage, il fallait que je sois la plus naturelle possible, que je sois moi en quelque sorte. Mais cela m’a beaucoup aidé que Mathias fasse le rôle de Jack, c’était beaucoup plus agréable et spontané. J’étais ravie de donner vie à ce personnage avec lequel je vis depuis la sortie du roman et que j’affectionne particulièrement.
– Comment est venue l’idée des épines qui se déploient autour de votre personnage quand elle se sent mal menée ?
– Ça vient directement de l’imaginaire de Mathias. C’est surement lié à mon caractère, Mathias me dit toujours que je suis une mobylette et que je démarre au quart de tour. Je peux très vite me mettre aussi bien à rire qu’à pleurer. Le côté épine est un peu une réaction épidermique quand Miss Acacia se sent agressée ou quand Jack essaie de la charmer…
– Stéphane Berla : Le problème est surtout qu’elle aime un autre homme, c’est une espèce de carapace imagée pour dire qu’elle se protège. Elle a souffert de son amour portée à un autre homme et elle n’est pas prête à se laisser charmer par un autre.
– Comment passe-t-on de la musique aux images ?
– Avant tout, les images et la musique sont au service de l’histoire. On ne cherche pas à faire coller une musique à un scénario, il faut l’utiliser pour qu’elle le raconte au mieux. On a d’ailleurs suivi le livre et les chansons de Mathias, c’était une chance d’avoir un album écrit avant le film. Les voix des comédiens comme Olivia Ruiz, Arthur H ou Grand Corps Malade étaient déjà présentes sur le disque, ça nous a permis de structurer un peu le film et de savoir dans quelle direction on allait.
– Olivia Ruiz : L’album n’a d’ailleurs pas suffi, j’ai dû chanter deux autres morceaux écrits spécialement pour l’occasion.
Vous parliez des comédiens, le personnage de Georges Méliès interprété par Jean Rochefort est très réussi. On dirait qu’il a été écrit pour lui…
– Stéphane Berla : C’est le cas, c’est une idée de Mathias. Quand il a imaginé le réalisateur Georges Méliès dans son roman, il avait Jean Rochefort en tête. Mathias a toujours été fan de son côté Dandy, de cette fantaisie et cette jeunesse qu’il a et qu’il a toujours eu. Le personnage fantasmé n’est d’ailleurs pas complètement en référence avec le personnage historique de Georges Méliès, mais plus une fantaisie puisée dans le caractère de Jean Rochefort. Ce personnage a de grandes failles en lui, des doutes, et s’inspire beaucoup de la fraîcheur de Jack. C’était un plaisir de travailler là-dessus, Georges Méliès est très intéressant.
– On remarque notamment un clin d’œil évident aux personnages de Tim Burton…
– Olivia Ruiz : C’est vrai qu’on nous l’a déjà dit plusieurs fois, mais j’ai vraiment du mal à voir du Tim Burton là-dedans…
– Stéphane Berla : Dans la forme on a l’impression. Il est vrai qu’il y a des personnages comme Joe, assez sombres et caractéristiques, et les dessins ont aussi des formes assez allongées… Mais je pense qu’on est quand même assez loin. On est parti dans un registre à mon avis plus sensible et plus féminin que ce que fait Burton. Même si bien sûr on est très contents d’être comparés à un géant pareil dont on est fans, je ne pense pas qu’on pourrait le citer comme une de nos références. Ce qui nous gêne un petit peu c’est d’être mis dans une case. Dans les films d’animation c’est soit tu appartiens à la famille Burton, soit à la fantaisie Miyazaki, soit à l’humour Pixar…
– Pourrait-on dire que « Jack et la mécanique du cœur » est une poésie pour adulte racontée aux enfants ?
– Olivia Ruiz : Complètement, pour moi c’est un film tout public. Pourtant je n’aime pas d’habitude ce côté film d’animation pour enfants, je trouve qu’on prend les enfants pour des idiots. Ce n’est pas parce qu’un enfant a 5 ans qu’il doit se faire tout expliciter par un narrateur… Avec « Jack… », on s’adresse aux enfants comme aux adultes. C’est aussi l’histoire d’un amour impossible, qui est quand même un sujet très universel…
– Et serait-il possible de vous revoir une fois devant la caméra ?
– Olivia Ruiz : Oui je l’espère, mais pour l’instant les propositions n’ont pas été des plus convaincantes… Avec Stéphane pourquoi pas ?
– Stéphane Berla : Ça serait avec grand plaisir !
– Olivia Ruiz : De toute façon je ne te laisse pas le choix, je m’imposerai (rires). Donc non, pas de projet cinéma pour l’instant, mais celui de danse contemporaine à l’Opéra Comique de Paris en avril prochain où j’interpréterai une gitane pour un opéra entièrement en espagnol.