L’étrange premier film de John Carpenter et Dan O’Bannon dispose chez Carlotta d’une édition DVD et Bluray comprenant un master restauré ainsi que quelques suppléments valant le coup d’œil. Retour sur un OFNI fondateur à plus d’un titre.
En 1974, deux étudiants de l’Université de Californie du Sud parviennent, au terme d’une série d’improbables péripéties, à transformer leur film d’études en un long-métrage distribué en salles. Ils se nomment John Carpenter et Dan O’Bannon, deux noms appelés à entrer dans l’Histoire du cinéma de genre. Leur création s’intitule « Dark Star », elle connaîtra un échec cuisant et deviendra irrémédiablement culte.
La carrière du « Master of Horror » et celle du scénariste de « Alien » auraient pu être sensiblement différente si l’expérience « Dark Star » s’était déroulée autrement. À l’époque, les deux compères pensent entamer une collaboration sur le long terme, montant en duo des films qu’ils réaliseraient à tour de rôle. Sur ce premier projet, c’est Carpenter qui met en scène et (déjà) s’occupe de la musique, tandis que son camarade O’Bannon co-écrit le scénario avec lui, gère les effets spéciaux, le montage et incarne l’un des personnages principaux, Pinback.
Les deux jeunes cinéphiles étant l’un comme l’autre très influencés par Kubrick, leur idée est de créer une sorte de mix entre « 2001 : l’Odyssée de l’espace » et « Docteur Folamour » : on suit ainsi le quotidien de l’équipage d’un vaisseau chargé de faire exploser des planètes instables qui risqueraient de déclencher des supernovas. Objet filmique improbable et inclassable, « Dark Star » est une comédie à la fois complètement barrée et profondément dépressive, qui joue sur l’ennui et l’aliénation de ses personnages jusqu’à l’absurde et compense son minuscule budget par une inventivité technique certaine et un ton décalé pour le moins désarmant. On décèle déjà les germes de ce que sera le futur cinéma de Carpenter : une ambiance musicale hypnotique, un sens du cadrage parfait et une économie de moyens au service d’une efficacité sèche et directe. De même, la dynamique entre les différents membres de l’équipage, le portrait peu glorieux de leurs supérieurs et le regard général porté sur l’humanité se retrouveront dans le scénario de « Alien ». L’association de ces deux talents en herbe aurait pu simplement donner naissance à un petit film de SF sombre et envoûtant qui serait certainement considéré aujourd’hui comme un premier ouvrage honorable de la part de deux grands noms. Mais Carpenter et O’Bannon ont préféré opter pour la gaudriole, transformant ce coup d’essai en une anomalie si déstabilisante qu’elle ne pouvait que se planter dans l’immédiat avant de devenir culte sur le long terme.
De fait, « Dark Star » n’a pas su trouver son public à sa sortie, les spectateurs de l’époque restant insensibles aussi bien à son humour potache qu’à son discours aux accents métaphysiques. Face à cet échec, Carpenter et O’Bannon décident d’oublier leur projet de collaboration et de partir chacun de leur côté, le premier entamant une brillante carrière dans le cinéma d’horreur et le second, donnant vie à l’une des sagas les plus terrifiantes du septième art (« si je n’arrive pas à faire rire les gens, je vais leur ficher la trouille », avait-il conclu).
Aujourd’hui, si « Dark Star » reste relativement confidentiel pour le grand public, il est vénéré par quantité de cinéphiles déviants. Et il y a de quoi : ne serait-ce que pour le délirant passage durant lequel Dan O’Bannon poursuit dans un conduit d’ascenseur un alien littéralement confectionné à l’aide d’un ballon de plage (« une idée si affligeante qu’elle coulait de source », selon l’épouse d’O’Bannon) ou encore l’échange surréaliste entre le capitaine du vaisseau et l’intelligence artificielle d’une bombe bien décidée à exploser, cet OFNI vaut le détour.
L’édition DVD et Bluray de Carlotta offrent non seulement la possibilité de redécouvrir cet étrange film dans deux versions restaurées (la sortie cinéma et la director’s cut raccourcie de dix minutes), mais elle propose également le passionnant documentaire « Let There Be Light », qui revient avec humour et sans langue de bois sur la confection chaotique du film (on y apprend notamment que la fameuse séquence de l’ascenseur a été tournée entièrement à l’horizontale et que Dan O’Bannon était un personnage pour le moins particulier). En bref, un achat à recommander à tout cinéphile curieux de bizarreries : que l’on soit ou non fan de « Big John » ou d’O’Bannon, « Dark Star » est une expérience indéfinissable à vivre au moins une fois dans son existence.
Dark Star
De John Carpenter
Avec Dan O’Bannon, Brian Narelle
Jack H. Harris Enterprises, University of Southern California