Roschdy Zem nous raconte comment il a mis en scène l’incroyable destin du clown Chocolat, premier artiste noir de la scène française. Le duo inédit qu’il forma avec Footit, rencontra un immense succès populaire dans le Paris de la Belle époque avant que la célébrité, l’argent facile, le jeu et les discriminations n’usent leur amitié et la carrière de Chocolat.
Qu’est-ce qui vous a particulièrement intéressé en découvrant l’incroyable destin de Chocolat ?
Ce qui m’a d’abord frappé, c’est le parcours de cet homme qui a complètement disparu des écrans radars. Son histoire fait écho à la trace qu’on laisse en tant qu’artiste. Comment a-t-il pu être si connu de la scène parisienne et être totalement oublié cent ans plus tard ? Beaucoup de personnages comme Joséphine Baker et toute une série de comiques se sont inspirés du duo que formaient Footit et Chocolat. Je crois que c’est une succession, peut-être involontaire, d’évènements qui a fait qu’on a eu envie de ressortir des tiroirs l’histoire de ce jeune Cubain né esclave. Il est resté un inconnu pour le grand public jusqu’à ce qu’un écrivain décide d’en parler, qu’un producteur décide de s’y intéresser et qu’un metteur en scène décide d’en faire un film.
Auriez-vous aimé apprendre plus tôt son existence ?
Bien sûr ! On a toujours le sentiment que pour aimer son pays, il faut connaître son histoire. Je pense que Chocolat fait partie de l’histoire de France au même titre qu’un Lautrec ou un Debussy.
Comment avez-vous pris part à ce projet ?
Les producteurs du film, Eric et Nicolas Altmayer, sont tombés sur un article qui contait l’histoire de Raphael Padilla (alias Chocolat) écrit par l’historien Gérard Noiriel. Avant de m’en parler, ils ont engagé Omar sur le projet. Suite à ça, j’ai été contacté…
A quoi devait-on s’attendre en assistant à un spectacle de Chocolat et Footit ? Quel était leur public ?
A l’époque, le cirque était un loisir essentiellement accessible à la bourgeoisie. Certes, il y avait des travées pour les classes plus populaires, mais les pauvres de l’époque n’allaient pas au nouveau cirque de Paris. Ce public aisé riait de bon cœur, sans déceler que le numéro de Footit et Chocolat était une forme de satire de ce qu’ils étaient. L’Auguste souffre-douleur du clown blanc caricature le rapport qu’entretenaient les industriels et les bourgeois avec leurs employés qu’ils faisaient souffrir. Cette boutade n’a été découverte que quinze ans plus tard. A la suite de l’affaire Dreyfus, les articles de presse ont commencé à changer de ton en soulignant le fait que le spectacle était humiliant.
Au départ, il existe peu de communication entre les deux hommes en dehors du cirque, et Footit semble peu sensible à la condition de Chocolat…
Chocolat est un Prince. Footit va-t-il s’en rendre compte ? Concernant la condition de son binôme, et à sa décharge, Footit vit à une époque où la peau noire est synonyme d’inhumanité. Le contexte était différent, c’est aujourd’hui qu’on n’a pas d’excuses.
Chocolat fait une rencontre importante suite à son emprisonnement, celle de Victor. Ce personnage a-t-il existé ?
Victor est un personnage de fiction. Il est là pour éveiller la conscience de Chocolat. Car s’il sait ce qu’il représente, ce qu’il est, Chocolat se protège en se cachant derrière un voile de déni. En sortant de prison, Chocolat a changé. Il veut faire valoir ses droits et être respecté comme un comédien à part entière.
En 2016, Chocolat aurait-il encore toutes ces difficultés à être en haut de l’affiche ?
Le parcours d’Omar tend à nous faire dire le contraire, même si on sait qu’aujourd’hui encore, il est difficile pour les minorités de se faire leur place au soleil. Par exemple, quand on donne un rôle à une femme, il y en a quatre pour un homme, les acteurs qu’on a tant aimés au cinéma sont poussés hors écran passé un certain âge, et ainsi de suite… C’est un fait, le cinéma et les médias manquent de mélange et symbolisent une forme d’élite. Ce constat n’est un secret pour personne.
Comment êtes-vous parvenu à recréer le Paris de la Belle époque ?
Grâce à un long travail de documentation. Qu’il s’agisse de peintures, de photos, nous avons travaillé avec des documentalistes pour coller à cette époque.
Parmi d’autres, vous citez « La Môme » comme référence…
Oui, surtout pour la mise en scène majestueuse et audacieuse d’Olivier Dahan. Pour construire l’univers de « Chocolat », nous avions des dizaines de références, dont les films des Frères Lumière. Je n’ai donc pas la prétention de me considérer comme un inventeur. « Chocolat » est le fruit de 30 ans de cinéphilie.
Qui a été le cerveau derrière les numéros qu’on voit à l’écran ?
James Thierree (Footit) a minutieusement chorégraphié les numéros. Tous les numéros qu’il proposait duraient vingt minutes, et quand je lui demandais de les réduire, il n’y arrivait pas… volontairement (rires). Il fallait donc tirer le suc de ce que me proposaient James et Omar. J’ai surtout gardé ce qui, dans les numéros, nous racontait le couple de Chocolat et Footit.
Comment s’est déroulée la collaboration entre Omar Sy et James Thierree ?
Ils sont arrivés avec ce qu’ils étaient. James avec son expérience du cirque, et Omar avec son expérience de plusieurs années à Canal + avec Fred. Il y avait une relation de maître à élève sur le plateau, mais ce qu’a vécu Chocolat en quinze ans, Omar l’a vécu quinze jours. Finalement, la volonté de perfection de James a contribué à instaurer un climat très constructif entre eux. En travaillant ensemble durant un mois, j’ai vu se produire le miracle au sein de cette association d’acteurs. Chocolat et Footit ont dû vivre la même chose.
Les seconds rôles du film sont incarnés par des acteurs de renom. Denis Podalydès fait une apparition dans la peau d’un des frères Lumière…
Je cherche avant tout des acteurs de talent, et j’ai la chance ou la malchance qu’ils acceptent ou refusent mes propositions. Je vais vers ceux pour qui j’ai une forme d’admiration, et Denis en fait partie. En France, dès lors qu’on fait une comédie, on ne se fatigue pas à faire une belle lumière et on ne met pas un point d’honneur à engager de grands acteurs pour incarner ces rôles. De Niro en comique me fait beaucoup rire, car il est l’acteur qu’on connaît. Malgré les idées reçues, la comédie demande autant de rigueur qu’un drame. Il faut qu’on puisse y croire.
Film après film, on vous retrouve toujours dans un univers différent du précédent…
C’est vrai. J’ai découvert l’univers du cirque pour « Chocolat », celui de la justice avec « Omar m’a tuer », des bodybuilders avec « Bodybuilders ». Quand on fait ce métier, on a la chance incroyable d’avoir accès à des tas de milieux très différents. Le cinéma à cette capacité de vous ouvrir des portes et de vous infiltrer dans un monde jusque-là inconnu.
Vous visionnez parfois jusqu’à trois films par jour…
Oui, j’ai des périodes.
Qu’est-ce que la mise en scène a appris à l’acteur que vous êtes ?
Le fait de réaliser m’a donné davantage de respect pour le travail du metteur en scène. J’essaie maintenant d’être plus disponible, d’étoffer mes rôles. Quand j’ai commencé, je ne savais pas que j’allais poursuivre ce métier. Je ne connaissais pas mes classiques par exemple. La jeune garde qui arrive derrière nous est bien plus armée qu’on ne l’était. Ils sont plus complets, ils sont meilleurs que nous tout simplement.
Chocolat
De Roschdy Zem
Avec Omar Sy, James Thierrée, Noémie Lvovsky
Ascot Elite
Sortie le 03/02