C’est avec le regard pétillant qu’Alfonso Cuarón nous accueillit le vendredi 27 septembre au festival de Zurich, où il présentait son chef-d’oeuvre Gravity. Le réalisateur mexicain, à qui l’on doit Y tu mamá también, Harry Potter 3 et Children of Men, a répondu à nos questions avec un amour du cinéma non dissimulé, malgré sa fatigue apparente.
Dans vos films, la question du voyage – symbolique et physique – occupe toujours une place importante. Est-ce votre manière de percevoir le monde?
– Vous êtes probablement l’un des seuls à avoir remarqué ça et à ne pas voir mes films comme des oeuvres totalement opposées. Je considère mes films, dont notamment Y tu mamá también, Children of Men et Gravity, comme des road movies. Comme des voyages. Et les voyages sont toujours métaphoriques. Avec mon chef-opérateur, Emmanuel Lubezki, on essaie de donner le même poids aux personnages qu’au contexte, alors qu’il y a souvent un clash entre les deux. Dans le cas de Gravity, nous voulions vraiment que le vide et la vie occupent une part similaire que celle du personnage de Ryan Stone.
Vous utilisez une grande quantité de plans-séquences (des scènes tournées en une prise – ndlr) dans votre cinéma. Est-ce un défi technique que vous vous imposez ou simplement votre manière de percevoir le cinéma?
– C’est vrai, depuis mes premiers projets à l’école j’utilisais ce langage. J’ai appris cette forme de maitres et j’ai compris son caractère d’immédiateté. J’ai vraiment commencé à explorer ça dans Y tu mamá también de manière plus consistante. C’est l’idée de pouvoir rester en temps réel avec les personnages et le contexte, et de les traiter de la même manière – comme on en discutait auparavant. Pour moi, la caméra est là pour témoigner d’un moment; un moment cinématographique, ou de véracité. Nous avons opéré différemment pour Gravity car nous avons basculé dans des plans subjectifs – et non plus objectifs, de loin – afin que le point de vue du film devienne aussi celui des spectateurs.
Ces longs plans ont toujours quelque chose de spectaculaire. Avez-vous en tête un plan-séquence dans l’histoire du cinéma qui vous aurait spécialement marqué?
– Oh il y en a plein. Tout plein! Depuis la période muette du cinéma jusqu’à Jancsó, un réalisateur hongrois, ou Sokourov et son Arche russe. De Palma, Scorsese… Mais ceux que j’admire le plus sont ceux que l’on trouve chez Woody Allen, dont personne ne parle. Il fait ça d’une manière totalement différente. J’aime les frères Dardenne, qui ne sont pas tape-à-l’oeil mais réalistes, tangibles. Il y en a plein! Orson Welles dans Touch of Evil! Max Ophüls, un réalisateur fabuleux… Dreyer! Ou encore l’un de mes réalisateurs préférés: Alain Tanner. Par ailleurs, mon fils s’appelle Jonas suite au film de Tanner [Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 – ndlr].
En parlant de votre fils… Vous avez écrit le film ensemble. Comment s’est passée votre collaboration?
– Je travaille avec lui comme je travaille avec n’importe quel autre scénariste. Je ne vois pas vraiment notre collaboration de manière beaucoup plus différente que ça. Les avantages en revanche sont les raccourcis, parce qu’on de l’expérience en commun et on ne doit pas se donner de longues explications pour se comprendre. On connaît nos goûts respectifs et on n’est pas obligé de faire beaucoup de rhétorique là autour. Et en plus, c’est chouette de travailler avec mon fils! Avec la vie et mon fils qui grandit, cela me donne en plus la chance de pouvoir le fréquenter pour le travail.
Dans Gravity, le personnage de George Clooney écoute plusieurs fois de la musique country. Est-ce que ce genre de musique représente quelque chose de spécial pour vous?
– La musique que l’on entend au début est une chanson de Hank Williams, un classique de la musique country. Nous voulions présenter le personnage de Clooney comme quelqu’un ayant bien les pieds sur Terre (sic – ndlr), étant vraiment très à l’aise avec l’environnement. Nous voulions également signifier l’espèce de banalité que représente une mission comme celle-ci; un job normal qui se passe, simplement, là-haut. D’une certaine façon, cette musique nous permettait de minimiser l’aspect héroïque que renvoient les astronautes, que nous souhaitions dépeindre comme des gens normaux.
Une dernière question concernant Sandra Bullock. Ce n’était pas votre premier choix; comment fut-ce elle qui fut finalement choisie?
– Comme le film a pris tellement d’années à se réaliser, notamment à cause de la technologie, il a subi différentes réincarnations. Au début du projet, j’étais en discussion avec Angelina [Jolie – ndlr] mais ça restait des conversations très formelles et il n’y a jamais rien eu de contractuel. Puis, le film a vraiment nécessité beaucoup de temps et elle est partie sur d’autres projets… et ça n’a été qu’au moment où la technologie était prête qu’on a commencé à faire des propositions concrètes à des acteurs. Sandra Bullock et George Clooney furent les premières personnes vers qui je me suis dirigé à ce moment-là.