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mercredi, novembre 27, 2024
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Tirez sur le pianiste : le film « Nouvelle Vague » de François Truffaut avec Charles Aznavour

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

Adapté du roman Down There de David Goodis, Tirez sur le pianiste est un film fantaisiste noir, voire une tragédie burlesque, qui, malgré son échec commercial lors de sa sortie, est le vrai film « Nouvelle Vague » de François Truffaut.


« Un virtuose international qui peut même pas se payer une bagnole »

Charlie Koller joue du piano dans le bastringue de Plyne. Un soir, son frère Chico, poursuivi par les gangsters Ernest et Momo, vient trouver refuge dans ce bar-dancing où il retrouve de manière fortuite son frère à qui il demande de l’aide. Léna, la serveuse du bar, est intriguée par la personnalité complexe de Charlie, voilée par sa timidité et son mutisme. Elle va découvrir qu’il n’est autre qu’Edouard Saroyan, pianiste virtuose dont la vie a sombré le jour où sa femme s’est suicidée. Voulant aider Charlie à renouer avec son passé prestigieux, ils vont se retrouver de force dans une histoire qui ne semble pas être la leur.

« Au cinéma, c’est comme ça et pas autrement »

« En faisant les Quatre Cents coups, je me suis rendu compte que je travaillais dans le quotidien, finalement ; et je m’en suis rendu compte d’autant plus en faisant le Pianiste, puisque là j’avais choisi une chose américaine, et que tout d’un coup j’avais devant moi un matériel que je détestais presque, les gangsters, par exemple. Je me suis rendu compte que j’avais horreur des gangsters ; et, je m’en suis sorti pas par la parodie, je m’en suis sorti par une espèce de drôlerie ».[1]

Pour son deuxième long-métrage, François Truffaut décida de rendre hommage au cinéma américain duquel il s’est inspiré pour proposer au public une histoire qui va à l’encontre de ce que nous trouvions dans les Quatre Cents coups (1959). Ce n’est plus un travail dans le quotidien, ni une histoire d’enfants ou d’adolescents, et encore moins une exposition d’émotions simples. Le réalisateur casse les codes traditionnels du cinéma et rentre pleinement dans ce mouvement de la rupture représenté par la Nouvelle Vague.

À travers, ce « pastiche respectueux » remplit « d’ironie, sans toutefois tomber dans la moquerie, et en même temps très sérieux », Truffaut propose un film noir qu’il détourne pour mélanger les genres ; film comique, film d’amour et d’humour, « film où les bons sont quelques fois méchants et les méchants parfois sympathiques », film musical, film poétique et surtout film qui déroute. Il s’agit moins d’un film de gangsters, de la course de frères traqués ou de types avec des flingues que d’un film sur la timidité, le mutisme et la mélancolie d’un pianiste tourmenté par les drames de son passé.

Tirez sur le pianiste dénote également par sa structure ambitieuse, puisqu’il est conçu autour d’un long flash-back qui fait revivre l’histoire d’amour tragique entre le pianiste Edouard Saroyan ( Charles Aznavour ) et sa femme Theresa ( Nicole berger ), mélangeant ainsi les tons, les atmosphères et la narration. Un flash-back qui enfonce le personnage principal dans une sorte de cycle infernal où le destin tragique ne peut que se répéter.

Loin d’être un film exclusivement musical, la bande sonore orchestrée par Georges Delarue fait des aller-retours, oscillant du jazz au classique, tout en faisant des détours par la chanson populaire avec notamment Boby Lapointe. Elle accompagne et accentue les mouvances du film et nous berce parfois vers de fausses pistes, car ne suivant pas forcément ce qu’il y a à l’image. Tout va trop vite, mais tout va à l’essentiel. Truffaut épure son film de tout surplus, et nous offre un imaginaire littéraire et cinématographique juxtaposant le trivial et l’expérimental.

« Quand on est au fond de la nuit, on ne peut arrêter la nuit ».

« Tirez sur le pianiste, je crois que je l’ai fait pour une image. Dans le livre de Goodis, à la fin, il y a une petite maison dans la neige, des sapins et une route en pente : on dirait que la voiture glisse sur cette route sans que l’on entende le bruit du moteur. J’ai eu envie de réaliser cette image… »[2]

Avec l’idée de faire un film noir, Truffaut ne pouvait s’écarter de la fatalité. Le film est un drame de l’hérédité, du milieu social, de ce qui n’en finit pas de revenir, du meurtre et de la perte.
C’est en apprenant que sa femme ( Nicole Berger ) dû vendre son corps à son imprésario – Lars Schmeel  ( Claude Heymann ) – pour lancer sa carrière, et en découvrant le suicide qui suivi cet aveu, qu’Edouard Saroyan tomba dans l’anonymat en devenant Charlie Koller – pianiste de bar -, comme pour refouler ce tragique évènement. Chétif, timide et fragile, Aznavour incarne avec brio cet anti-héros qui s’attache à la serveuse Léna ( Marie Dubois ). On se souviendra d’ailleurs de cette célèbre et sublime scène où Aznavour et Dubois marche côte à côte dans la nuit, face à la caméra. Il est intimidé et n’ose prendre sa main. Un gros plan montre le décompte avec ses doigts, afin de se résoudre à agir. Puis, il fait une grimace ; elle rit. La timidité, la légèreté et l’innocence.

Dans cette scène, François Truffaut invente par ailleurs un procédé qui consiste à retranscrire le monologue intérieur par une autre voix. Ce n’est pas Aznavour qui parle ( il s’agit d’Yves Furet ) et s’apostrophe à la deuxième personne du singulier, comme dans le roman du Goodis dont le film est adapté. Pour le réalisateur, la voix intérieure n’est pas une vraie voix. Par l’intermédiaire d’une autre, on partagerait paradoxalement davantage le sentiment de partage du for intérieur.

Cette progression des rues noires de Paris à la blancheur de la neige n’est qu’un trompe-l’œil qui sert à mettre en lumière le double destin tragique de Charlie et le retour brutal à ses racines dont il ne pourra plus se démêler, puisqu’il est malgré lui tombé dans le crime. Entré de force dans cet univers à cause des deux gangsters qui en ont après son frère, il rejoint les « bêtes sauvages » par l’effet d’un éternel retour. D’ailleurs, Truffaut semble s’amuser de ces deux bandits qui ont parfois des répliques inattendues sans rapport avec la situation théoriquement dramatique comme celle du double kidnapping. Ce détournement vers la comédie allège la pesanteur du film noir. Même si ce film déroutant a reçu des avis mitigés, fut ennuyé par la censure et interdit au moins de dix-huit ans lors de sa sortie – n’oublions pas que Michèle Mercier montre sa poitrine, lorsqu’elle se couche dans le lit d’Aznavour – et subit un échec commercial, il est pourtant celui qui s’inscrit pleinement dans le Nouvelle Vague. Un chef-d’œuvre qui met non seulement en avant le talent du réalisateur, mais également celui de l’acteur, Charles Aznavour, chanteur et poète qui vient de s’éteindre.

Tirez sur le pianiste (1960 ) – Un film de François Truffaut
D’après le roman de David Goodis Down There

Film noir et blanc
Durée du film : 78 minutes

Adaptation : François Truffaut et Marcel Moussy
Dialogues et mise en scène : François Truffaut

Musique : Georges Delerue
Image : Raoul Coutard
Montage : Claudine Bouché et Cécile Decugis
Production : Les Films de la Pléiade ( Pierre Braunberger )
Avec : Charles Aznavour, Marie Dubois, Nicole Berger, Michèle Mercier, Albert Rémy, Daniel Boulanger.

 1 « François Truffaut et l’esprit critique », réalisation   J-P Chartier, INA, 1965
 2 Idem

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