Voilà plusieurs décennies que chaque génération a eu droit à son adaptation cinématographique du célèbre romain de Louisa May Alcott. Outre des versions muettes lors des années 10 et une version de 2018 passée majoritairement inaperçue, les Quatre Filles du Docteur March se sont vues adaptées à l’écran par Georges Cukor (1933), Mervyn LeRoy (1949), David Lowell Rich (1978) et Gillian Armstrong (1994). En 2019, le voyage proposé par la réalisatrice Greta Gershwig jusqu’à Concord, petite ville de l’état du Massachussetts, se dessine comme un puzzle coloré et résolument dans l’air du temps.
En pleine Guerre de Sécession, la famille March se retrouve amputée d’un membre – le père est parti pour officier en tant que pasteur au front, laissant derrière lui son épouse et ses quatre filles Meg, Jo, Amy et Beth. Cette petite société s’unit pour faire tourner la maison en l’absence du père et faire face aux défis de la vie quotidienne d’une jeune fille de classe modeste. L’aînée Meg (Emma Watson, semblant malheureusement se demander ce qu’elle fait là) rêve en silence à de belles parures pour aller danser, Jo (Saoirse Ronan, sur qui tout le film repose) écrit des romans d’aventure sans se soucier de son apparence, Amy (Florence Pugh, magnétique) s’attache à peindre et à dessiner en espérant devenir une grande artiste, et Beth (Eliza Scanlen, trop peu vue à l’écran) la cadette aime à jouer du piano pour agrémenter les moments en famille. Les filles naviguent entre joies et peines épaulées par leur mère (lumineuse Laura Dern) et l’intéressant nouveau voisin (Timothée Chalamet, qui campe un Laurie fluet, agité et convaincant).
Solidaires et liées, les quatre sœurs ont des rêves pour le futur. Dans les réunions secrètes qu’elles tiennent au grenier, elles montent des pièces de théâtre, s’inventent des personnages, créent leur journal et échangent leurs plans pour le futur. La force du texte de Louisa May Alcott est telle que le roman a traversé des générations de lecteurs avides et étonnés de se reconnaître dans les histoires de jeunes filles de la Nouvelle-Angleterre du XIXe siècle. Le film y fait honneur : Gershwig prend le parti original d’une narration découpée et faites de sauts temporels, dont les événements entrecroisés empruntent au roman Little Women mais également à sa suite, Little Wives. Ce constant décalage déroute au départ, en particulier le spectateur familier de l’univers des sœurs March et habitué à la narration linéaire des adaptations précédentes ; il fonctionne pourtant, et se révèle être une trame brodée avec soin.
L’autre surprise vient du choix de casting : pour une intrigue s’étalant sur sept ans et voyant les protagonistes quitter l’enfance pour découvrir l’âge adulte, Gershwig a choisi de représenter les différents âges des personnages non par des actrices différentes mais par de simples changements de costumes et coiffures. Un regret pour cette démarche qui pousse non seulement à se perdre dans les étapes de la narration, mais aussi à diminuer l’immersion : malgré d’excellents jeux d’acteur, difficile de prendre au sérieux un personnage d’une quinzaine d’années joué par une actrice qui en a 30 – n’en déplaise à l’habitude de casting des teen-movies américains.
Qu’il s’agisse de découvrir ou de retrouver la famille March, Little Women est tel qu’il se doit : réconfortant, chaleureux et coloré. En plus d’oser une opinion sur le parcours de la création artistique féminine. C’est réussi.
Les Filles du Docteur March (Little Women)
USA – 2019
Durée: 2h15 min
Drame, Romance
Réalisatrice: Greta Gerwig
Avec: Florence Pugh, Saoirse Ronan, Emma Watson, Timothée Chalamet, Meryl Streep, Laura Dern, James Norton
SonyPictures Switzerland
01.01.2020 au cinéma