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mercredi, octobre 30, 2024
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« Le meilleur reste à venir » : Rencontre avec les scénaristes et réalisateurs Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte

Lauren von Beust
Lauren von Beust
Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

Suite à un énorme malentendu, deux amis d’enfance, Arthur (Fabrice Luchini) et César (Patrick Bruel), chacun persuadé que l’autre n’a plus que quelques mois à vivre, décident de tout plaquer pour profiter à fond du temps restant. Sept ans après « Le Prénom », « Le Meilleur Reste à Venir » marque les retrouvailles entre Patrick Bruel et le duo Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. « Daily Movies » a rencontré ces deux scénaristes et réalisateurs français, en pleine tournée promotionnelle.  


Bonjour Messieurs ! Dans votre nouveau film très émouvant, le duo Bruel-Luchini marche très bien. C’était un souhait dès le départ de les avoir dans les rôles de César et Arthur ? 
A.D.L.P. : Bonjour ! Bonjour ! Alors on travaille toujours de la même manière, c’est-à-dire que l’on ne pense pas aux acteurs en écrivant le scénario… 

M.D. : Effectivement, si vous pensez dès le début à quelqu’un en particulier, vous vous interdisez d’écrire certaines scènes justement parce que vous ne pensez qu’à l’acteur en question, et 9 fois sur 10, vous avez un risque que celui-ci refuse le rôle finalement. Donc non, on travaille en pensant parfois à des acteurs comme Cary Grant ou Michel Piccoli, mais comme ce n’est pas possible, ça reste imaginaire ! On est dans une conception imaginaire des personnages et au moment de passer à la réalisation, on enlève notre casquette de scénariste pour penser aux acteurs capables d’interpréter tel ou tel rôle. 

A.D.L.P. : On fait des listes d’acteurs, et en l’occurrence pour ce film, des paires d’acteurs. Il fallait que ceux-ci aient entre 40 et 60 ans, qu’ils aient un caractère totalement différent, et qu’ils soient crédibles dans l’imaginaire collectif, afin de donner l’impression au public d’avoir toujours vécu avec ces deux amis et d’avoir toujours été proche d’eux. Après avoir écrit le scénario, on s’est dit que ça serait génial de les avoir, car tellement absurde et fou comme couple d’amis, tout en pensant qu’ils diraient « non ». Par un moment d’égarement, ils ont accepté de monter dans notre bateau. 

« On aime écrire des dialogues très précis et les travailler avec les acteurs. On ne mise pas sur l’impro,  on apprécie de donner l’impression qu’il y en a… »

Avec deux personnalités comme les leur, on imagine qu’il a fallu les arrêter pendant le tournage… Vu le bagout de Fabrice Luchini, n’y a-t-il pas fallu couper certaines scènes…?
A.D.L.P. : Eh bien non, car il se trouve qu’il y a plusieurs Luchini. Il est à la fois complètement l’homme que l’on connaît, brillant, tout feu tout flamme, mais c’est aussi un vrai artisan de son métier, un homme de travail très intransigeant, un homme du silence et de la solitude. C’est ce qui le rapproche de Patrick d’ailleurs, car tous deux sont des exigeants dans leur travail, veulent bien faire et sont au service des films. Fabrice Luchini n’est pas quelqu’un qui met la pagaille sur un plateau, comme on pourrait l’imaginer. Pas du tout… 

M.D. : Oui, il a une telle intensité en tant qu’acteur, c’est vraiment sa force. Il se révèle réellement au moment de tourner, et c’est très impressionnant de le voir habiter les rôles qu’il interprète. On peut penser qu’il est dans la technique, alors que c’est un intellectuel, quelqu’un de cérébral qui travaille ses rôles et qui est toujours prêt à l’« Action ! ». C’est agréable de travailler avec des acteurs qui ont une telle simplicité. Tant Bruel que Luchini sont des vedettes qui bossent. Ils ne sont pas là par hasard. 

Ne leur avez-vous pas laissé quelques moments d’improvisation sur le tournage ?
A.D.L.P. : Pas tant que ça, tout simplement parce que l’on ne travaille pas comme ça. Avec Matthieu, on aime écrire des dialogues très précis et les travailler avec les acteurs, mais par contre, on essaie d’accidenter un peu le tournage. Et puis il y a des moments qui n’appartiennent qu’aux acteurs, un silence ou un mot à la place d’un autre par exemple. Donc non, on ne travaille pas en impro, mais on apprécie de donner l’impression qu’il y en a, car ça donne le sentiment que le texte est inventé au moment où il est dit. C’est d’ailleurs le plus beau compliment que l’on puisse faire à un acteur, de croire que tout est spontané. 

Le duo César et Arthur, c’est un peu la relation d’amitié indéfectible que vous partagez vous-mêmes dans la vie, Alexandre et Matthieu ? 
A.D.L.P. : Ce qui est génial quand on est scénariste, c’est justement d’imaginer des personnages qui peuvent vivre des choses à votre place. C’est sûr qu’on met beaucoup de nous dans nos personnages, hommes comme femmes d’ailleurs. Alors non, il n’y a pas un César ou un Arthur entre nous deux, mais disons que l’on est un peu des deux à la fois. Et c’est aussi pour ça que l’on écrit des histoires, parce que l’on est un peu contradictoires parfois. Comme on est amis depuis vingt ans, ça nous a touché et amusé d’écrire sur le sujet… 

Vous étiez donc amis avant d’être des réalisateurs…
M.D. : En fait, on s’est rencontrés par l’intermédiaire du cinéma, dans une salle de montage. On était tous les deux débutants. Je montais mon premier court-métrage et Alexandre était assistant sur le tournage. C’est là qu’on a commencé notre conversation qui dure depuis des années, maintenant. On est devenus amis de cinéma et puis amis tout court par la suite ! 

« Ça nous faisait marrer de faire jouer à Fabrice Luchini, un homme qui n’arrive pas à parler ! »

Vous en êtes à votre deuxième collaboration en tant que réalisateurs. Comment se passe le processus de réalisation d’un projet ? Aucun de vous n’empiète sur le terrain de l’autre ?
M.D. : On bosse une heure par semaine ! (rires)

A.D.L.P. : En général, le lundi vers 14h ! (rires) Non, plus sérieusement, on travaille de manière très scolaire. On est tous les jours au bureau, du matin au soir, tous les jours de toute l’année. On est comme des artisans qui vont à l’atelier. Comme dans des sportifs, on vient s’entraîner tous les jours. 

M.D. : En fait, on a un an de préparation, suivi d’un an d’écriture. On a toujours deux ou trois idées en tête… 

A.D.L.P. : Toutes très drôles d’ailleurs ! (rires)

M.D. : Ah oui, remarquables ! (rires) Ils nous faudrait plusieurs vies pour toutes les écrire, ces histoires. On les laisse fleurir pendant un an, certaines d’entre elles fanent, et au bout d’un an d’infusion, après avoir lu des livres et vu des films sur la thématique, on regarde si le thème en question nous intéresse toujours autant. Si c’est le cas, on y passe réellement huit heures par jour, pendant un an. 

Le personnage d’Arthur, interprété par Fabrice Luchini, cache la maladie de César pour protéger son meilleur ami. Vous comprenez son choix ? 
A.D.L.P. : Je comprends qu’on puisse être fragile, qu’on puisse manquer de courage et vouloir protéger l’autre. Au-delà de la comédie, ce film pose beaucoup de questions sur cette vérité qui peut changer la vie de quelqu’un. Une mauvaise nouvelle n’est jamais facile à annoncer. Alors humainement, je comprends le choix d’Arthur, mais je ne dis pas non plus que c’est un bon choix…  

M.D. : Disons que c’est un quiproquo qui ressemble au personnage, car Arthur n’arrive pas à parler. Il n’arrive pas à parler à sa fille, ni à son ex-femme, ni même à son patron. C’est quelqu’un qui est complètement angoissé et bloqué. Il veut bien faire, mais il n’y parvient pas, contrairement à César qui, lui, est quelqu’un qui ne veut pas entendre. Il ne veut pas entendre les conseils qu’on lui donne, pas entendre les mises en garde qu’on lui fait. C’est un homme qui est dans le déni, parce qu’il veut profiter de l’instant. Alors il fuit les responsabilités, il fuit l’avenir, etc. En fait, le film raconte l’histoire d’un homme qui ne veut pas entendre avec un homme qui ne veut pas parler ! (rires)

A.D.L.P. : Et puis, ça nous faisait marrer de faire jouer à Fabrice Luchini, un homme qui n’arrive pas à parler ! (rires) 

« L’échec, c’est comme organiser une fête à laquelle personne ne vient. Pleins de questions restent en suspens »

Pensant qu’Arthur est malade et qu’il n’y en a plus que pour six mois, César, joué par Patrick Bruel, lui demande de faire une liste des choses qu’il aimerait réaliser avant de s’en aller. Personnellement, qu’est-ce que vous feriez s’il ne vous restait que quelques mois à vivre ?
M.D. : C’est très compliqué de répondre à cette question… Il se trouve qu’à un moment donné dans ma vie, j’ai cru qu’il ne m’en restait plus pour longtemps, et je dois dire que ce sont des moments où vous pensez à profiter de l’instant, du soleil qui se lève ou de boire un coup avec des amis, par exemple. Cela rejoint un peu le film… 

A.D.L.P. : Oui, c’est la beauté des petites choses. 

Et vous, Alexandre ? 
A.D.L.P. : Pareil que Matthieu ! Si j’étais dans ce cas, je pense que j’aurais envie de profiter fond des gens que j’aime. Donc de faire des petites choses à fond, plutôt que de me lancer dans une aventure au Guatemala, entouré par les moustiques. Je ferais des choses assez simples, en fait. J’imagine que le voyage est intérieur dans ces moments-là… 

Quand on regarde l’appartement parisien d’Arthur, on y verrait presque le décor du film « Le Prénom » (2012) (adapté de la pièce du même nom), votre précédente réalisation, je me trompe…?
A.D.L.P. : Haha ! C’est très psychanalytique ! (rires) 

M.D. : C’est en effet fascinant parce que vous n’êtes pas la première à nous le dire ! La configuration de l’appartement d’Arthur est très différente, mais il y a une similitude tout de même entre les deux domiciles. Ce sont effectivement des appartements d’intellectuels, où la bibliothèque regorge de livres, etc. Ça ressemble d’ailleurs à nos appartements respectifs. Ce sont sans doute nos goûts qui ont refait surface… 

A.D.L.P. : Avec la cheffe décoratrice, qui avait fait les décors du « Prénom », on a choisi les meubles ensemble, sans jamais penser à ça. Et le premier jour de tournage, on s’est rendu compte que ça y ressemblait beaucoup. C’était complètement inconscient. Mais je suis très heureux de ça, car c’est une très jolie référence pour nous.  

« Ce n’est pas le succès qui met la pression, mais l’échec. Le succès vous donne, au contraire, de la liberté »

Quand on connaît un tel succès au théâtre et ensuite au cinéma, comme ça été le cas avec « Le Prénom », y a-t-il une pression supplémentaire qui s’ajoute lorsqu’on aborde un nouveau projet ? Une peur de décevoir peut-être ? 
A.D.L.P. : Disons que ce n’est pas le succès qui met la pression, mais l’échec. Le succès vous donne de la liberté. Quand on fait un film, on se pose mille questions. Des questions auxquelles les spectateurs répondent dès la sortie du film en salles. En cas de succès, toutes les angoisses disparaissent, mais en cas d’échec, toutes les questions restent ouvertes : « Est-ce la bande-annonce qui n’était pas assez drôle » ou « La date de sortie a-t-elle été mal choisie ? ». En fait, c’est comme organiser une fête à laquelle personne ne vient. Pleins de questions restent en suspens. Tandis que le succès, il permet de refermer le livre et de passer à autre chose, tout en laissant de beaux souvenirs ! 

C’est la deuxième fois que Patrick Bruel tient le rôle principal de vos films. Il est une valeur sûre dans ce genre de registre ? 
M.D. : Bien que l’on n’ait pas pensé à lui pour l’écriture, on se voit régulièrement, on est devenus amis. Il y a beaucoup de confiance entre nous trois. C’est facile de tourner avec lui, on ne perd pas de temps dans les à-côtés du tournage. 

A.D.L.P. : Oui, c’est très agréable de travailler avec lui. Il connaît nos textes et notre manière d’écrire. 

Quels sont vos projets pour la suite ? Peut-on imaginer que contrairement au « Prénom », c’est le film « Le Meilleur Reste à Venir » qui sera adapté au théâtre ? 
A.D.L.P. : C’est drôle parce que les gens nous posent souvent cette question. Mais ça serait compliqué de l’adapter pour le théâtre, au vu des nombreux changements de lieux. Mais on a quand même des projets de théâtre. Une nouvelle pièce intitulée « Par le bout du nez » notamment, qui se jouera à Paris, au Théâtre Edouard VII, à partir du 25 février 2020. Il s’agit d’une adaptation catalane dans laquelle se produiront François-Xavier Demaison et François Berléand. On retrouvera Bernard Murat à la mise en scène. 

Le meilleur reste à venir
FR   –   2018   –   Comedie
Réalisateur: Matthieu Delaporte, Alexandre De La Patellière
Avec : Fabrice Luchini, Patrick Bruel
Pathé Films
04.12.2019 au cinéma

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