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jeudi, décembre 26, 2024
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Yolande Moreau : « J’ai senti venir le vent de la révolution en mai 68 »

Lauren von Beust
Lauren von Beust
Amoureux du film «American Gigolo», ses parents la prénomme en hommage à l'actrice américaine Lauren Hutton. Ainsi marquée dans le berceau, comment aurait-elle pu, en grandissant, rester indifférente au 7ème art ? S'enivrant des classiques comme des films d'auteur, cette inconditionnelle de Meryl Streep a prolongé sa culture en menant des études universitaires en théories et histoire du cinéma. Omniprésent dans sa vie, c'est encore et toujours le cinéma qui l'a guidée vers le journalisme, dont elle a fait son métier. Celle qui se rend dans les salles pour s'évader et prolonger ses rêves, ne passe pas un jour sans glisser une réplique de film dans les conversations. Une preuve indélébile de sa passion. Et à tous ceux qui n'épellent pas son prénom correctement ou qui le prononcent au masculin, la Vaudoise leur répond fièrement, non sans une pointe de revanche : «L-A-U-R-E-N, comme Lauren Bacall !». Ça fait classe !

En pleine promotion pour le nouveau film de Martin Provost « La Bonne Épouse », l’actrice belge Yolande Moreau n’a pu se rendre en Suisse cette semaine, préférant prendre le maximum de précautions face au coronavirus. C’est donc par téléphone que la lauréate de trois César a répondu à nos questions.


Nous sommes peu avant mai 68, au fin fond de l’Alsace. L’école ménagère locale a pour mission de former les jeunes filles à devenir des femmes au foyer exemplaires. Cuisiner, faire le ménage, la lessive, repriser les chemises et se plier au devoir conjugal sans fléchir, c’est ce qu’enseigne avec fermeté Paulette Van der Beck (Juliette Binoche), la directrice de l’institution, secondée par sa belle-soeur Gilberte, interprétée par Yolande Moreau, ainsi que soeur Marie-Thérèse (Noémie Lvovsky). Mais à la veille de la révolution sexuelle, les principes de l’époque commencent à vaciller. Et si la bonne épouse devenait enfin une femme libre ?

Elle devait se rendre en Suisse pour la promotion de « La Bonne Épouse », mais le coronavirus aura eu raison de sa venue en Romandie. La lauréate de trois César s’en excuse d’ailleurs. C’est donc par téléphone que l’actrice belge Yolande Moreau a pris le temps de répondre aux questions de « Daily Movies ».

Bonjour Yolande Moreau ! « La Bonne Épouse » raconte l’intérieur d’une école ménagère peu avant la révolution de mai 68, et plus généralement, le film traite de l’Histoire des femmes. C’est un sujet qui vous tenait à coeur ?
Yolande Moreau : Je crois qu’avant tout, j’étais ravie de retravailler avec le réalisateur Martin Provost pour la troisième fois [après « Séraphine » en 2008) et « Où va la nuit » en 2011]. J’aimais beaucoup le sujet et je le trouvais traité de manière originale par Martin. Il a osé aller dans la légèreté et la comédie pour une thématique aussi historique que celle-ci.

Effectivement, c’est un film qui raconte les femmes et pourtant, c’est un homme qui le porte à l’écran… Vous pensez que Martin Provost a cerné les femmes ?
Oui, il les comprend très bien. Tous ces films tournent autour de la gente féminine. Il aime en parler.

« Je crois avoir vécu les événements de mai 68 sans vraiment les comprendre. Mais j’ai senti venir le vent de la révolution. »

Vous interpréter le rôle de Gilberte, la sœur du directeur de l’institution, qui va devenir très complice avec sa belle-soeur, incarnée par Juliette Binoche. Cette dernière va se retrouver à la tête de l’école. Comment définiriez-vous votre personnage ?
Gilberte est une femme-enfant. Elle est restée bloquée dans l’adolescence. On l’observe d’ailleurs par son physique et sa coupe de cheveux [longue chevelure lisse et blonde]. Mais elle va évoluer au cours de l’histoire, notamment grâce à ces jeunes femmes à qui l’on apprend à être de bonnes épouses, mais qui ont un autre regard sur la question. Gilberte est un personnage que j’aime bien, elle me touche. Et puis elle doit me ressembler un petit peu. Même si finalement, on ressemble toujours un peu aux personnages que l’on incarne. On cherche toujours les accointances.

Comment avez-vous vécu mai 68, vous qui n’aviez que 13 ans à l’époque ?
C’est un temps de changements et de libération que j’ai vécu de plein fouet. Je crois avoir vécu les événements sans les comprendre, mais disons que j’ai senti venir le vent de la révolution. D’ailleurs, après 68, j’ai tout de suite vécu en communauté et puis j’ai été maman très jeune. C’était finalement une époque assez joyeuse, pleine de promesses.

« Ma mère était femme au foyer et était elle-même très angoissée par son statut de femme et par son devenir. »

Et quand vous repensez à votre mère à cette époque, à quoi ressemblait son quotidien ?
Elle était femme au foyer et était elle-même très angoissée par son statut de femme et par son devenir. Elle se posait beaucoup de questions. Comme on était quatre enfants, elle redoutait que notre père disparaisse ou qu’il quitte la maison. Heureusement, cela n’est pas arrivé, mais elle avait pris des cours de dactylo et d’anglais. Et puis elle rêvait pour nous qu’on réussisse à l’école, qu’on trouve du travail. Et aussi qu’on fasse du tennis, mais ça, elle n’a pas réussi ! (rires)

À vous entendre, on peut dire les temps ont bien changés en cinq ans…
Oh oui ! Quand je compare ma mère à ma fille et mes petits-enfants aujourd’hui, c’est clair qu’il y a eu une importante évolution. Mais dans beaucoup de milieux, comme le milieu culturel notamment, les femmes ont toujours du plus mal à s’imposer que les hommes. Ça, c’est certain.

Votre mère, a-t-elle connu cette fameuse école ménagère dans laquelle on apprenait aux femmes à être devenir de « bonnes épouses » ?
Non, elle n’y avait pas été. Mais j’avais autrefois acheté un bouquin qui parlait de cette institution. Je me souviens que ça m’avait beaucoup amusé quand je l’ai lu, car j’avais réalisé combien le temps où les femmes apprenaient à repriser les chemises ou à bien se comporter au lit était lointain et révolu. Car même dans la sphère intime, les femmes devaient écouter leur mari et fermer leur gueule. C’est ça qu’on leur apprenait.

« Être une bonne épouse, aujourd’hui ? …C’est avant tout avoir un bon époux ! (rires) »

Le film est rempli de symboles forts. Le personnage de Juliette Binoche porte pour la première fois des pantalons, s’améliore en conduite et découvre également le plaisir sexuel. Les jeunes filles de l’institut évoquent le « féminisme », mais le terme apparaît comme quelque chose de redouté par les hommes, comme une provocation même… Comment définiriez-vous le féminisme aujourd’hui ?
Nous avons fait un grand bon en avant. C’est bien que la parole des femmes se libère de nos jours. Mais au-delà des révolutions qu’ont été mai 68 ou même plus récemment le mouvement #MeToo, je pense que l’on acquière toutes des droits un peu chacune dans son coin. Et même si les choses ont beaucoup évolué, je dis toujours à mes petites-filles : « Battez-vous parce que ce n’est pas fini ! Le combat continue ! »

Alors c’est quoi finalement une « bonne épouse » ?
…C’est avant tout avoir un bon époux ! (rires) Non, mais ça ne veut plus rien dire aujourd’hui. Les qualités que l’on demandait à l’époque ne sont plus d’actualité.

Il y a quelques années, vous confiiez dans une interview votre souhait d’interpréter davantage de « femmes du monde ». Qu’est-ce que vous vouliez dire par là ?
C’est vrai qu’on m’appelle rarement pour faire des femmes aristocratiques, et je ne sais pas pourquoi d’ailleurs. Je n’ai fait que très peu de femmes mondaines dans ma carrière. Mais vous savez, moi ce qui m’intéresse, ce n’est pas tellement le rôle qu’on me donne, mais davantage les rencontres avec les gens de ce métier. Que ce soit avec un réalisateur ou un metteur en scène notamment. C’est l’humain qui m’intéresse.

La bonne épouse
FR/BL – Drame – 2019
De Martin Provost
Avec Juliette Binoche, Yolande Moreau, Noémie Lvovsky…
Filmcoopi
11.03.2020 au cinéma

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