Récompensé en 2018 à la Berlinale avec notamment un « Ours d’Argent », « Les Héritières » plonge le public dans l’univers de 2 femmes paraguayennes. Alors que l’une d’entre elle est emprisonnée, l’autre choisit de vivre autrement. Et du coup, de s’épanouir… Rencontre en Suisse et dans le cadre du FILMAR 2018 avec le réalisateur Marcelo Martinessi qui nous parle du cinéma paraguayen et bien entendu de son dernier film.
Parlez-nous de votre nouvelle œuvre, « Les Héritiers », lauréate de deux Ours d’argent au Festival du film de Berlin 2018 ?
« Les Héritières » est l’histoire d’une femme, lesbienne, mûre, au Paraguay et qui, à partir du moment où sa partenaire va en prison, commence à réaliser qu’elle a peut-être toujours vécu emprisonnée dans une classe sociale, dans une relation… commence alors un lent processus de libération.
Pourquoi raconter cette histoire spécifiquement?
J’ai grandi dans un monde de femmes, de mères et de sœurs, comme nous avons beaucoup grandi en Amérique latine et il m’a semblé important dans mon premier travail, de travailler sur cette base dans mon premier long métrage, de travailler sur la base de la mémoire et des dialogues et des formes de cet univers me sont venues à l’esprit. Ensuite, il était très important pour moi de commencer à travailler sur cette mémoire que j’avais de dialogues sur les façons de voir le monde, des sons, des images et de l’histoire de femmes, de cette famille composée de deux femmes, je pourrais aussi parler un peu plus de l’histoire de mon pays, plus que tout, du sentiment de emprisonnement que, je le crois, beaucoup de paraguayens éprouvent au pays.
Vous montrez une société qui s’accroche à une division de classe. Plus qu’une critique directe, il me semble que vous vous contentez de juste la montrer. Ai-je tort ?
J’essayais de raconter le film, de mettre la caméra à ma place, je pense que le cinéma peut être comme un miroir et quand tu te vois dans un miroir tu n’as pas besoin de dire quoi que ce soit, tu réalises les choses à cause de cette image que renvoie le miroir, les choses qui peuvent te déranger, elles peuvent te blesser, te paraître terribles. Le cinéma semble avoir cette capacité. Dans ma vie, j’ai beaucoup fait de cinéma plus militant, surtout des courts métrages, par exemple sur le coup d’État de 2012 avec la tragédie de Curuguaty, qui a été la clé de ce coup d’État du Paraguay, les films sur les enfants des rues, des courts métrages toujours, mais je pense dans ce cas, l’important c’est de ne pas être si partial mais de placer le miroir et laisser réfléchir les gens, en quelque sorte, sur ce film. Surtout le peuple paraguayen. Je travaille principalement pour mon pays.
Le soutien de l’État à l’industrie culturelle est-il suffisant ?
En fait, au Paraguay, nous n’avons pas encore de politique cinématographique. Cette année, en juillet, une première loi sur le cinéma a été adoptée. Loi qui, nous l’espérons, pourra être mise en œuvre à l’avenir, mais pour l’instant, il n’y a pas d’aide régulière, pas de cinémathèque ou d’école de cinéma ou de fonds réguliers pour le cinéma. C’est quelque chose qui est encore en attente, donc il y a vraiment beaucoup d’efforts de la part de tous ceux qui veulent raconter des histoires et il y a bien sûr un grand soutien des pays, dans notre cas il y a six pays, à part le Paraguay, il y a l’Uruguay, le Brésil, la Norvège, l’Allemagne et la France dans le projet.
Comment voyez-vous le cinéma paraguayen et les nouveaux cinéastes, qu’apporte cette nouvelle génération ?
Il y a un côté très vivant, il y a déjà des films de comédies, d’action, d’horreur, il y a quelques premiers projets qui sortent dans différents genres. Il y a des films qui sont tournés à Asuncion et en dehors d’Asuncion. Il me semble donc que c’est un moment très agréable pour notre cinéma et je pense que nous sommes en quelque sorte, confrontés au défi en tant que génération de construire le cinéma paraguayen. Il faut que le cinéma au Paraguay cesse d’être un miracle et que ça devienne quelque chose de normal et régulier. Il me semble que l’important, c’est que nous vivons dans une société qui lit très peu et que peut-être le cinéma peut jouer un rôle fondamental, nous repenser en tant que société, être un peu plus autocritique et réfléchir sur d’où on vient et où on va.
D’autre part, que pensez-vous de l’importance de la télévision d’aujourd’hui en Amérique du sud ou au Paraguay ?
Au Paraguay, elle n’a aucune importance. Au Paraguay, la télévision est purement commerciale, il n’y a pas de télévision critique ou de réflexion, il me semble que la télévision au Paraguay est privée et répond principalement aux intérêts des actionnaires. Ils ont essayé de créer une télévision publique et le projet a échoué. Je crois donc qu’il y a encore une dette en suspens quant à avoir une télévision qui sert à quelque chose. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de place dans la télévision actuelle pour être sauvée de cette énorme tempête inutile de programmes plus que tout de divertissements « grossiers », bon marché, imitations, etc… Il y a quelques exceptions… mais je crois que la plupart des émissions de mon pays ne servent à rien.
Quelle est la question que vous ne voulez plus entendre ?
Quand on me demande d’où vient l’idée du film.. en fait, c’est difficile pour moi car à chaque fois que je l’entends, j’ai peur. Car il me semble que les idées viennent de n’importe où… dans mon cas, elles viennent de la mémoire et la mémoire est comme ça… c’est quelque chose de confus.
Les héritières (La Herederas)
PY, DE, UY, NO, BL, Fr – 2017 – 95 Min. – Drama
Réalisateur: Marcelo Martinessi
Acteur: Ana Brun, Margarita Irún, Ana Ivanova…
Cineworx
13.02.2019 au cinéma