Pour son sixième long-métrage, le réalisateur et peintre américain, Julian Schabel, nous donne à voir de façon intelligente, passionnée et subtile les derniers mois de Vincent Van Gogh, incarné avec évidence par Willem Dafoe, nommé à l’Oscar du meilleur acteur.
« Partez au sud Vincent »
Désirant trouver une nouvelle lumière pour peindre des tableaux éclatants, Van Gogh (Willem Dafoe) s’installe sous le soleil d’Arles grâce aux revenus que lui apporte son frère Théo (Rupert Friend). Incompris, stigmatisé, harcelé, seul et empreint de folie, Van Gogh persistera à croire en son art, et ne sera jamais autant prolifique que lors de ses derniers mois à vivre.
« La peinture : Rendre éternel l’éphémère »
La vie, la personnalité et l’œuvre de Vincent Van Gogh ont inspiré de nombreux films, parfois avec une vision juste, poignante et intimiste, comme celui de Maurice Pialat, d’autre fois avec un regard amateur, naïf et maladroit, comme celui de Vincente Minelli. Ainsi, l’idée de regarder le dernier d’une longue et épuisante série de long-métrages, nous astreint inévitablement à ressentir une légère perplexité.
Pourtant, dès les premières minutes du film, il apparaît évident que nous n’avons pas affaire à un biopic conventionnel, banal et sans saveur ; le choix des acteurs – notamment Willem Dafoe en Van Gogh et Oscar Isaac en Paul Gauguin – sonne comme une extraordinaire évidence, et permet de donner une autre envergure à ses artistes si souvent interprétés ; la qualité de l’image – en parfaite harmonie avec l’esprit et l’oeuvre de l’artiste – surprend par sa vision impressionniste, hypnotique et singulière ; la manière de filmer entre en adéquation avec les contours d’un artiste oscillant entre la pure contemplation, l’inspiration, l’écrasante solitude et l’inévitable folie.
Le film se situe bien loin d’un portrait simpliste, investi par le cliché, d’un artiste maudit, au bord du gouffre, incompris et vivant seul sous une sombre mansarde. Julian Schabel, artiste contemporain et réalisateur, propose une approche nouvelle, intelligente et esthétique des derniers mois de Van Gogh, devenu célèbre – rappelons-le – bien après sa mort. Le réalisateur élargit avec audace et créativité son art cinématographique tout en apportant un regard nouveau et pertinent sur ce peintre qui ne cessera de faire couler de l’encre.
« Je peins, j’adore peindre et je dois peindre ; j’ai toujours été peintre, je le sais »
Loin du cabotinage redouté, Willem Dafoe, dans le rôle principal, est aussi émouvant qu’époustouflant. Les conflits et les tourments intérieurs de l’artiste se reflètent à merveille dans ce physique marqué par le temps, impeccablement en phase avec les débauches éprouvantes de l’artiste, abusant de l’absinthe, et ne reposant guère son esprit torturé par la solitude et le manque de reconnaissance. Sa gestuelle poétique et ses paroles prophétiques accompagnent sa fureur artistique, alimentée et bouleversée par ses moments de folie, qui l’entraine de plus en plus vers un panthéisme exacerbé, lui donnant une stature d’iconoclaste, notamment mis en lumière dans ce savoureux dialogue avec le prêtre chargé d’évaluer ses capacités mentales ( Mads Mikkelsen ). Willem Dafoe aura amplement mérité son prix d’interprétation à la Mostra de Venise et sa nomination aux Oscars.
Il est également important de souligner le remarquable travail du chef opérateur, Benoît Delhomme, en parfaite osmose avec l’univers du peintre. La vision poétique, distordue et mystique de Van Gogh est habilement montré par l’omniscience de la caméra qui jongle entre un regard intimiste et global. Un fabuleux aller-retour qui unifie le monde intérieur et extérieur du peintre. De plus, la lumière chaude du soleil qui illumine les vastes campagnes provençales, les couleurs vives et éclatantes de cette nature divine et les gros plans sur le visage de Willem Dafoe sont un immense hommage à l’art de Vincent Van Gogh. Un film qui ne souhaite pas raconter les derniers mois d’une vie, mais qui invite le spectateur à s’immerger pleinement dans les inspirations et la créativité d’un artiste légendaire.
Bien que ce film soit une parfaite réussite, il est tout de fois regrettable de constater les trop brèves apparitions de certains acteurs ( ou actrices ), tels que Vincent Perez, Mathieu Amalric ou Niels Arestrup, tout comme l’omniprésence injustifiée de la langue de Shakespeare dans l’hexagone. Bien heureusement, une autre version a été réalisée entièrement en français, notamment avec les voix de Patrick Chesnais pour Van Gogh et celle de Louis Garrel pour Gauguin. Votre frustration s’élargira très certainement, lorsque vous chercherez à l’apprécier dans une salle obscure. En effet, contrairement aux Etats-Unis, où il a été distribué dans les salles par CBS Films, At Eternity’s Gate n’est visible – depuis le 15 février dernier – que sur Netflix.
At Eternity’s Gate
ROY, FR, USA – 2018
Durée: 1h51 min
Drame
Réalisateur: Julian Schnabel
Acteur: Oscar Isaac, Mads Mikkelsen, Willem Dafoe, Rupert Friend, Niels Arestrup, Stella Schnabel, Patrick Chesnais, Alan Aubert
DCM
24.04.2019 au cinéma