Bactron 317 est une oeuvre unique. Un film porno qui a oublié de tourner ses scènes de cul, recyclé en film d’espionnage grotesque, lui-même déguisé en comédie navrante, et porté par une star du X transgenre des années 70.
Le destin est comme le flot inéluctable d’une rivière sans fin, bouillonnante et dangereuse, qui envoie s’échouer sur ses rives tant les pauvres que les puissants dans un carnaval cynique et amoral. Les hommes ne sont que des fétus de paille entièrement soumis aux courants de la fatalité, qui se perdent et s’entrechoquent sans logique ni raison. Quels que soit sa force et son talent, l’individu qui tente de lutter ne peut que précipiter sa perte et sa plongée dans les abîmes de l’oubli.
Imaginez-vous la scène. Vous êtes producteur et vous avez financé un film. Pas le chef-d’oeuvre de l’année, juste un film porno soft enrobé dans une vague histoire d’espionnage, mais le réalisateur a été totalement incapable de revenir avec un produit complet. Il n’y a rien à en tirer en l’état, même avec un sorcier vaudou dans la salle de montage, ça ne passera pas et vous n’avez plus une thune pour tourner des scènes additionnelles. A ce stade vous avez généralement deux solutions. la méthode « Eurociné » qui consiste à aller récupérer des bouts d’un autre film et à le mélanger au vôtre comme vous pouvez : avec un titre bien racoleur du style « Une vierge chez les mort-vivants », il y a moyen de sauver les meubles. Ou la méthode « Devil Story », qui consiste à mettre toute la petite famille dans la caravane pour aller tourner des bouts de métrage supplémentaires le week-end à la campagne, tant pis si ça n’est pas trop raccord avec le reste du film.
Bactron 317 pioche un peu dans ces deux-là, en allant encore plus loin dans l’absurde. Il va essayer de nous faire croire que tout ça est fait exprès, qu’en fait le film est une comédie et que c’était prévu comme ça depuis le début, ha ha, on vous a bien eus ! Ainsi, tout le déroulement du film est accompagné d’un commentaire en voix-off de deux personnages censés être le producteur et le réalisateur du film (joués respectivement par Francis Lax et Jacques Ferrière) qui vont consciencieusement tailler leur bébé, tournant les acteurs et les situations en ridicule, faisant du placement produit incontrôlé et alignant les blagues sur les nains.
L’ossature de « Bactron 317 », c’est un film d’espionnage qui raconte l’histoire d’un savant fou, le Professeur Warning, qui a créé une substance chimique qui abolit la volonté et permet à celui qui s’en sert de contrôler les actions de ses victimes. Un groupe de terroristes internationaux veut s’en servir pour déclencher des attentats. Avertis de la menace, les services secrets français envoient l’une de leurs agents, Barbara, parce qu’elle est dans le coin et qu’elle aime bien montrer ses seins. Le film d’espionnage remplit, en gros, 70 minutes de métrage (sur 84) et au visionnage on devine sans trop de peine que les 20 minutes manquantes auraient dû notamment contenir les scènes de fesse.
Le tuteur tordu qui est censé faire tenir ça debout, ce sont une poignée de scènes de raccord dans le bureau du chef des services secrets, « Big », où l’humour fin et sophistiqué du film est à son zénith. Comme ça ne suffisait pas à remplir tous les trous, ce qui est quand même un comble dans un film porno, on a aussi droit à plusieurs dizaines de stockshots éparpillés au petit bonheur, sans oublier bien sûr ce fameux commentaire, dont l’une des fonctions essentielles (mais sensiblement moins assumée que le ressort comique) est de pallier une pléiades de scènes manquantes, car jamais tournées, et de raconter ainsi ce qui se passe entre certaines séquences-clé de ce film, qui a une tendance certaine à passer du coq à l’âne plus vite qu’un fermier partouzeur.
Un mot sur Ajita Wilson, qui joue Barbara. Née Georges Wilson dans les années 50 à New-York, elle deviendra Ajita vers le milieu des années 70 avant d’entamer une carrière dans le X transgenre. « Bactron 317 » semble être l’un de ses seuls films softs, faisant d’Ajita probablement la seule actrice au monde à s’être retrouvé accidentellement dans un film « normal » en croyant tourner un film X !
[Julien Gautier]