Sous-titré « Power Of An Indian », ce nanar d’action est une énième bourrinade patriotique comme le cinéma indien en produit à la pelle, mais avec un tel niveau de folie furieuse, un tel excès dans la surenchère, qu’elle parvient à déstabiliser le spectateur le plus maître de soi.
LA MEMOIRE À JAMAIS DANS LA PEAU
Le script rappelle la trilogie Jason Bourne ou « Au revoir à jamais », avec un personnage amnésique qui se découvre des aptitudes hors du commun et va chercher à se remémorer son passé. Ainsi, on nous présente d’abord le héros coulant des jours paisibles, au milieu de sa famille, dans un petit village reculé de l’Andra Pradesh (nous sommes dans un film Tollywood). Il a une magnifique moustache de velours, une coupe de cheveux indéformable façon banane, et donc tout pour être heureux. Pourtant, certaines choses clochent : il ne connaît ni son nom ni son passé, et quand un danger survient il se découvre subitement une force hors du commun.
En parallèle, on suit les forfaits sanglants d’Aslam Khan, caricature ultime de terroriste islamiste pro-pakistanais. Aslam, c’est un ouf dans sa tête : il est capable d’anéantir un régiment militaire entier juste pour libérer une de ses épouses, afin de pouvoir lui-même la tuer, parce qu’il lui reproche de s’être laissée capturer vivante ! On apprend qu’il cherche également à se venger de sa Némésis, un mystérieux bonhomme disparu après sa supposée mort, sept ans auparavant. « Aha ! » se dit le spectateur un tant soit peu réveillé.
Principal appât commercial du film, la présence du très populaire Nandamuri Balakrishna, spécialisé dans les rôles de héros dans la grande tradition si subtile du cinéma indien : père/mari/gendre idéal, viril, fort, c’est un citoyen d’une totale probité, un voisin fantastique, un danseur remarquable, et surtout un patriote exemplaire. Sans grande surprise, la suite du récit va nous révéler qu’il se nomme en fait Vijayendra Varma, et était un colonel de l’armée indienne, fer de lance dans la guerre contre le terrorisme.
ENFONCÉ CHUCK NORRIS !
Film d’action fracassant, « Power Of An Indian » souffre de deux tares. La première: recourt largement à des effets spéciaux digitaux magistralement foireux. La seconde : Balakrishna n’est jamais aussi ridicule que lorsqu’il castagne… et il castagne quand même souvent ! Gras comme un phacochère, il distribue les pains avec raideur, lève péniblement les gros poteaux qui lui servent de jambes et multiplie les pirouettes bafouant les lois de la gravitation.
Mais la séquence-phare survient lors de l’épique duel final où notre héros va carrément se métamorphoser en un être invincible, incarnant à lui seul toutes les forces vives, passées, présentes ou à venir, de la nation indienne. En effet, après un nouveau choc à la tête, la personnalité de Varma se brouille. Il écarquille les yeux, agite les bras, sa moustache frémit, tandis qu’en arrière-plan apparaissent des paysages éloquents : un tsunami dévastateur, un volcan en éruption… Même le spectateur le moins finaud comprend que ça va chier dans le ventilo !
Tandis qu’il bastonne du gredin islamiste à bras raccourcis, des références aux innombrables figures du panthéon indien se succèdent : la Roue du Dharma, les lingams et le trident de Shiva, Narasimha ou encore Kalki. En termes de délire mystico-patriotique, c’est déjà sacrément trapu, mais dans cette même séquence, le héros va également prendre les traits de plusieurs personnalités de l’Histoire de l’Inde. Et attention, pas des lopettes pacifistes à la Gandhi ou Nehru mais de vrais guerriers comme le chef tribal révolutionnaire Alluri Seetharama Raju, le marxiste Bhagat Singh et carrément le fasciste Subhas Chandra Bose.
Si on transposait ça dans le cinéma français, c’est un peu comme si Saint Louis Vercingétorix, Charlemagne, Jeanne d’Arc et le Général de Gaulle se réincarnaient en Jean Dujardin pour mettre sa misère à Al-Qaeda. Un Dujardin coiffé d’un béret à cocarde, armé d’une épée-saucisson, entouré d’accordéons volants et de coqs enflammés en images de synthèse, avec en arrière-plan des images de la Seine en crue et des volcans d’Auvergne, le tout sur fond de Marseillaise beuglée par un chœur composé de Mireille Matthieu, Michel Sardou et Yvette Horner. Ça en aurait de la gueule non ?
[Régis Autran]