Une femme de 50 ans, Claire, jouée par Juliette Binoche, professeure de Littérature comparée, se créée un avatar sur les réseaux sociaux, Clara, une jeune femme de 24 ans, pour épier son amant, Ludo. En séduisant finalement Alex, l’ami de ce dernier, elle se retrouve prisonnière d’une passion qui oscille entre réalité et mensonge. Ce thriller vertigineux est une réflexion sur l’utilisation des réseaux sociaux et sur la place de la femme vieillissante dans notre société. À l’occasion de la sortie de son sixième long-métrage, prévue pour le 06 mars 2019, l’auteur et réalisateur Safy Nebbou se livre sur la genèse de Celle que vous Croyez.
Ce film est une adaptation du livre éponyme de Camille Laurens, sortie chez Gallimard en 2016. Comment ce livre vous est-il arrivé entre les mains, et qu’est-ce qui vous a donné envie d’en faire un film ?
Tous les trois mois, je reçois une lettre d’information de Gallimard. À l’époque, j’ai lu le « speech » du dernier livre de Camille Laurens, qui s’appelle Celle que vous croyez. Dans un premier temps, il m’a interpellé, j’ai eu envie de le lire et j’ai demandé le livre. J’ai été totalement emporté par sa lecture, et, tout en le lisant, j’y ai vu la possibilité d’une adaptation cinématographique. Avec Julie Peyr (scénariste et romancière française), nous nous sommes ensuite lancés dans ce travail de scénario.
En étudiant votre parcours, on se rend vite compte que vous avez un lien particulier avec la littérature. Est-elle devenue pour vous une nécessité ? Est-ce un besoin pour écrire et réaliser vos films ?
C’est un peu le hasard. En tout cas, c’est vrai que pour mes trois derniers films, je me suis notamment inspiré d’un roman de Boileau-Narcejac (L’Âge Bête pour réalisé le film Comme un homme) et de Sylvain Tesson pour Les Forêts de Sibérie (2016). Disons que le hasard de mes lectures a fait que je me suis retrouvé face à des livres qui m’ont suffisamment plu pour me donner envie d’en faire des films. Ce n’est pas une obligation de passer par des romans, mais c’est vrai que j’ai réalisé mes trois derniers films de cette manière. D’ailleurs, pour le suivant, je me suis encore basé sur un roman… Peut-être que je ferais tous mes films adaptés de romans… Je n’en sais rien.
Votre scénario va de surprise en surprise, jusqu’à déborder sur l’imaginaire. Avez-vous conçu ce thriller dans le but de mettre en avant notre relation avec les réseaux sociaux, de montrer qu’il est, par leur intermédiaire, très facile de nous transformer ou de nous « scénariser » ?
Dans le roman, il y avait toutes sortes de thématiques qui me plaisaient : notre rapport aux réseaux sociaux, l’usurpation identitaire et sociétales. C’est quelque chose qui m’intéressait. À travers le parcours de cette femme abandonnée, je voulais explorer l’idée d’abandon, celle de la peur de vieillir et du temps qui passe. Ce sont des éléments qui me paraissaient être porteurs et moteurs pour le film. La construction du roman en thriller était assez frappante et vertigineuse. Avec Julie Peyr, nous avons respecter cette structure en essayant de ne pas perdre le souffle, le romanesque et la dimension vertigineuse de l’histoire. Ce sont ces éléments qui m’ont donné envie de cinéma.
Le choix de Juliette Binoche pour ce premier rôle, était-il une évidence pour vous ?
À la lecture du roman, nous en avions parlé avec Camille Laurens. Nous avons évoqué quelques actrices. Comme une évidence, Juliette Binoche s’est imposée à elle, à moi, au roman et donc au film. Au fond, pour une actrice comme elle, ce genre de rôle, dans lequel il y a une dimension romanesque et vertigineuse, et qui met en scène une femme plurielle, était un vrai défi. C’est quelqu’un qui aime la difficulté, qui aime le danger et qui n’a pas peur de sortir de sa zone de confort. Je crois que ce personnage lui donnait toutes ces possibilités-là.
François Civil (Alex) livre également une superbe prestation à travers ce jeune amant trompé. Etait-il sur le plateau, lorsque vous tourniez les scènes dans lesquelles Juliette Binoche (Claire) est au téléphone avec lui ?
Oui, toutes les scènes de téléphone de la première partie du film ont été faites en situation. Il était planqué sur le plateau. Juliette Binoche savait qu’il n’était pas loin, sans vraiment savoir où il était. L’enjeu était qu’ils ne se croisent jamais. Nous voulions garder un certain mystère et une certaine exaltation dans leur rapport. En ne se voyant pas en dehors du plateau, nous voulions également conserver la tension présente dans le film. Tout devait se jouer à travers les coups de fil. Ils ont aimé cette méthodologie. Cela permettait qu’ils s’amusent de cette situation autant que le spectateur.
Comme le dit Juliette Binoche à la fin du film « Il n’y a pas d’âge pour être petite », ou encore, pour citer Simone de Beauvoir, « qu’est-ce qu’un adulte ? Un enfant gonflé d’âge ». Êtes-vous d’accord ?
C’est sûr, c’est ce que raconte cette histoire. Finalement, c’est aussi savoir comment l’enfant, le petit garçon ou la petite fille, ne s’éteint jamais en nous, et d’une certaine manière, comment grâce à cette histoire, la petite fille en elle rejaillit et ressort. Ainsi, tout redevient possible, tout est nouveau, tout est perspective, tout est projet, tout est devant. Je trouvais cela intéressant.
Celle que vous croyez
FR – 2018 – 108 Min. – Drame
Réalisateur: Safy Nebbou
Acteur: Juliette Binoche, François Civil, Nicole Garcia, Charles Berling
Agora Films
06.03.2019 au cinéma