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mercredi, novembre 27, 2024
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Master class du Festival Lumière : Vincent Lindon

Jonathan Tholoniat
Jonathan Tholoniat
« Désespoir, amour et liberté. L’amour. L’espoir. La recherche du temps perdu. » Comme Pierrot, j’aime la Littérature. Comme Godard, j’aime le cinéma. Après avoir étudié la Philosophie à l’université de Lyon III, je poursuis mes études en Master de Littérature et français moderne à Genève pour me diriger vers l’enseignement et le journalisme. L’écriture et le cinéma : un univers en perpétuel mouvement que je suis heureux de partager. Godard ne disait-il pas : « Avec le cinéma, on parle de tout, on arrive à tout ». De quoi assouvir mon inlassable curiosité.

Lors d’une master class épique, Vincent Lindon a conquis le public de la comédie Odéon. Entre les imitations de Thierry Frémaux, ses confidences, ses hommages et sa vision de notre société, l’acteur a dévoilé ses convictions, sa parole libre et son humour ravageur. Extraits fidèlement choisis.


l’acteur a dévoilé ses convictions, sa parole libre et son humour ravageur. Extraits fidèlement choisis.

Le festival Lumière
« Ce festival de Lyon, et, des festivals, j’en ai fait quand même quelques-uns, est le plus beau et le plus incroyable que j’ai jamais rencontré. Voir à cette heure-là qu’il y a autant de monde, alors qu’ils n’ont pas fait le mâchon ( tradition gastronomique servie aux heures matinales par des restaurants traditionnels lyonnais ), et qu’ils se sont levés normalement.. C’est fantastique ! Toutes les salles sont pleines pour aller voir les films de 1932, 33, 34, 35, des copies restaurées, des films de Chaplin, de Buster Keaton, etc. Christian Carion me disait tout à l’heure qu’il a emmené ses enfants à la Halle Tony Garnier pour aller voir Le Kid. Il y avait 4’500 personnes dont 3’500 jeunes – entre 10 et 16 ans – ; ils avaient la larme à l’oeil… C’est formidable. »

Le métier d’acteur
« Tous les jeunes veulent être mannequin, acteur ou chanteur. Cependant, il y a, entre moteur et coupé, entre l’avant et l’après-scène, un avant et un après. C’est un métier physique. Il faut être solide. Il ne faut pas sombrer dans l’alcool ou dans la drogue. C’est un métier d’une violence incroyable. Je me faisais la réflexion à la Halle Tony Garnier, l’autre jour ( lors de l’ouverture du festival ), qu’il y avait quinze, trente, quarante personnes connues. On a des oreilles, on est des animaux, on entend. Il y en a forcément sur les vingt-trois qui ont ressenti moins d’applaudissements…C’est un métier très violent. Malheureusement, la réalité est que l’on peut t’aimer, mais sûrement un peu moins que celui d’à côté. Quand ça marche moins bien, tout le monde le sait.

J’aime les artistes, car ce sont des athlètes. Et il y a des cons, des sacs à merde, mais quelque part, même eux, je les aime, car eux aussi sont des athlètes. Ventura disait « ma vie est d’un banal déconcertant. On ne fait rien de plus que les autres ». Je fais mes courses, je regarde les films sur mon ordinateur, je mange, je me touche le ventre en disant que ce sera la dernière fois, je bois un café, je fume une clope sur mon balcon, je vais me coucher, je me réveille trois fois dans la nuit.. Le matin, je me lève, je prends des médicaments pour le cœur, la tension artérielle, je perds mes cheveux, j’ai des plaques nerveuses sous le menton… On est tous pareils. Je comprends l’angoisse des artistes. C’est terrible. Quand on est aimé ou pas aimé, on le ressent davantage. On voit l’amour dans les yeux des gens, mais on repère également ceux qui peuvent nous casser les couilles. On sent les gens. On est sensible à cela. »

Être proche des gens : une nécessité
« Si on s’enferme, si on ne parle pas avec les gens, si on porte des lunettes de soleil… C’est une métaphore ! J’ai des copains qui ont des vitres teintées, un manager, un attaché de presse, un coach, etc. Plus on s’écarte de la vie, moins on vit, moins on va dans la rue, moins on boit des coups, moins on parle, plus on a des bagnoles, plus on a des filtres, plus on a des parois qui nous séparent, plus on se perd. On croit qu’on se recentre, mais on s’éparpille. On perd son talent…

Il faut être là. Il faut discuter. Certains se donnent une illusion, ne voient personne, font que d’énormes festivals et se trouvent géniaux…Ce n’est pas ça la vie. Il faut parler avec les restaurateurs, les serveurs, les gens de la rue. Il faut s’en nourrir. On est des sangsues, on vous pique des trucs. Si on ne vous voit plus, on ne sait plus rien faire. »

Sa place dans le métier
« Je n’en reviens pas à chaque fois que l’on prononce mon nom. Il m’arrive souvent de penser en même temps que je suis indispensable et que je suis un déchet… Je passe de l’un à l’autre, tout en ne sachant pas qui je suis vraiment. Je n’ose même pas imaginer qu’un jour on me fera un hommage ou qu’on écrira un livre sur moi. Je n’y pense pas. Ce complexe du « à moi », cela ne m’arrivera pas. Ce qui est arrivé à Cannes était unique, mais inimaginable. Lorsque je me suis levé, je me suis dit : « Ce coup-ci, c’est moi .. ça va être une année bâtarde. Ils vont reprendre les choses sérieusement l’année prochaine ». Je n’y croyais pas et je n’y crois toujours pas.

Dans le cinéma français, il y a eu trois décennies marquées par des familles de réalisateurs, et je me suis aperçu que je n’étais passé par aucun d’entre eux. Brocard, Verneuil, Chabrol, Corneau, Miller, Deville, etc. Rien. Tous mes potes y sont passés. Parfois cinq fois, trois fois, deux fois.. Moi, rien. Je prends des risques, mais je vais aussi là où je peux ».

Le travail d’acteur
« Je fais un travail inconscient énorme. Pour travailler les rôles, j’ai beaucoup été à l’école de Serrault et Sautet : je connais mon texte à la perfection, mais ce n’est pas du par coeur. C’est au-dessus. C’est un moment où l’on laisse le texte sortir naturellement. Chez moi, le naturel sort par un excès de travail. Un acteur est bon lors des trois premières prises. Au delà, il y a une perdition. Je me présente sur le tournage que lorsque je sais mon texte de A à Z. Coline Serreau m’a montré un truc. Lorsque je récite mon texte, elle tient un objet et le fait tomber par terre. Je dois ensuite le ramasser sans que ma voix varie d’un millième de seconde. S’il y a un tout petit dérapage, un petit saut dans ma voix, elle arrête tout et me renvoie apprendre mon texte.

Au cinéma, je pense que l’habit fait le moine. Les décors, les mouvements et les vêtements sont très importants. Cela me fascine. Quand je joue un rôle, je dois être au plus près du fantasme que je me fais de si moi, j’étais lui ( le personnage ). Et puisqu’il faut que je sois près du fantasme que je me fais de si moi j’étais lui, il faut que je sois lui, mais aussi que je sois moi, parce-que c’est moi si j’étais lui. Donc il faut que je sois un peu moi. Il faut que je garde des choses pour rester Vincent. Je prends des risques. Ça passe ou cela ne passe pas. Si je m’entraîne, si je me vois faire les choses, et que je suis conscient que cela marche, je ne peux plus les faire. Je ne veux pas avoir de petites spéciales. Quand je joue un rôle, j’essaye de faire quelque chose de neuf. Je ne reste pas le personnage en dehors des prises. Le passage est très simple. On fait des choses plus compliqué dans la vie. C’est un travail, on s’adapte. »

Faire un film
« Je crève d’envie de faire un film comme metteur en scène, mais sans jouer dedans, car je connais mes travers. L’enfer commencerait au montage. Je pense que Vincent ne serait pas choisir entre une scène où je serais un bon acteur ou une scène qui serait bonne pour le film. Je me suis battu pour en arriver là, même si cela n’est pas si loin que ça. J’y ai mis beaucoup d’énergie. J’en suis là ; je connais mon obsessionnalité. Si je fais un film, je vais l’écrire durant un an, je vais le préparer durant 4 mois, je vais tourner pendant 3 mois.. Cela fera 19 mois, plus le mixage, le son, etc. Cela va me prendre 2 ou 3 ans de ma vie. L’idée qu’il y ait pendant ce temps un mec qui prenne mon rôle.. Je peux tuer ! Ça va me rendre fou. Je vais vous dire.. Je perds mes cheveux. Quand je serai vraiment chauve, je me mettrai à la mise en scène. »

Le théâtre
« Le théâtre, j’en rêve. J’ai un inconvénient tragique.. C’est à l’heure de mes quatre heures préférées : 19h-23h ; l’apéro et le dîner. J’irai au théâtre quand je serai assez chauve. Je ferai ma mise en scène la journée, j’irai au théâtre le soir, et les femmes ne me regarderont plus du tout ! Je serai peinard ! Cependant, j’ai peur d’aimer trop, j’ai peur de tomber absolument amoureux de la scène. J’aurai donc peur de faire que du théâtre. Ça me rendrait malade de laisser le cinéma. J’ai peur de trop aimer et de ne pas en sortir. Il y a une pièce que j’aimerais jouer. Mais il y a un obstacle : elle a été jouée par des comédiens exceptionnels… C’est le Misanthrope. Être Alceste, ce serait incroyable ! »

www.festival-lumiere.org

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