1998 : les journalistes américains s’indignent. « Paul Verhoeven a signé un film fascisant », lit-on ici. « Le Hollandais fait l’éloge d’une société militariste, belliqueuse qui rappelle les heures les plus sombres de notre histoire », entend-on par là. « Starship Troopers » est un échec commercial et critique. Deux ans plus tard « L’Homme sans ombre » termine d’enfoncer le clou.
C’est un nouveau flop. Incompris, Verhoeven quitte les Etats-Unis pour retrouver son pays natal. La carrière hollywoodienne du réalisateur n’aura duré qu’une décennie. Dix ans qui lui auront suffit pour marquer le cinéma de science-fiction avec trois chefs-d’œuvre. Dix ans également pour recevoir un Razzie et se faire traiter de tous les noms : misogyne, homophobe, fasciste… Trop c’est trop, ce continent n’était pas fait pour lui. Six ans après son retour au pays, il fera taire tous ses détracteurs avec l’excellent « Black Book ». Les Etats-Unis comprennent qu’ils ont perdu un très grand cinéaste et commencent à reconsidérer le fabuleux « Starship Troopers ».
A l’origine de la controverse, le livre de 1959 de Robert A. Heinlein, traduit « Etoiles, garde-à-vous ! » en français, dont l’utopisme militariste lui valu d’être vivement critiqué. Quand Jon Davison et Ed Neumeier (le producteur et le scénariste de « Robocop ») firent part à Verhoeven de leur idée de l’adapter au cinéma, ce dernier s’est immédiatement montré enthousiaste. Le projet partait donc avec un lourd handicap, celui d’adapter l’un des livres les plus controversés de l’histoire de la SF américaine. Et pourtant, le réalisateur n’a jamais désiré le porter fidèlement à l’écran. De son propre aveu, il n’aurait même jamais lu le livre en entier.
Pour s’en convaincre, il suffit de voir le film. Exit le premier degré de Heinlein, dès les roulements de tambour du spot publicitaire de la Federal Network sur lequel s’ouvre le film, le ton est donné : « Engagez-vous !
Ralliez l’infanterie, sauvez le monde ! » scande la pub avant de retransmettre des images de l’invasion de la planète Klendathu. Dans un impressionnant plan séquence, des soldats humains sont filmés en train de se faire massacrer par des insectes géants et battent en retraite. « Engagez-vous » qu’ils disaient !
Un flash-back nous ramène ensuite un an plus tôt. Assis sur un banc d’école, Rico drague une de ses camarades de classe pendant que son prof d’histoire enseigne l’échec de la démocratie et apprend à ses élèves que l’autorité suprême n’est autre que la violence. Mais ce beau gosse nommé Rico, ne faisait-il pas partie des soldats que nous venons de voir se faire embrocher par les Arachnides ?
Nous tenons là tout le propos du film. Le réalisateur singe tous les codes des sitcoms américaines pour mieux les détourner. Histoires de cœur entre étudiants, conflits avec leurs parents et bal de fin d’année, tout y est. Mais à la fin de leur scolarité, ceux qui désirent obtenir la citoyenneté doivent effectuer leur service militaire. Les meilleurs élèves seront pilotes ou intégrés aux services des renseignements, les cancres rejoindront la chair à canon : l’infanterie. Le spectateur retrouve donc cette brochette de jeunes bellâtres aux sourires étincelants plongés au cœur d’une guerre où l’insecte n’est pas toujours celui qu’on croit.
Plus corrosif que jamais, Verhoeven dépeint une société futuriste militarisée soutenue par une impressionnante propagande médiatique. Si la critique n’est jamais prononcée, il faudrait être aveugle pour ne pas remarquer le ton éminemment satirique du film qui envoie Ken et Barbie se faire déchiqueter par des parasites géants. Treize ans après sa sortie, le film demeure une œuvre majeure, un spectacle impressionnant (qui ne se souvient pas de l’attaque de l’avant-poste Whisky ?) et surtout extraordinairement drôle.
Seul Paul Verhoeven, l’Européen, pouvait réaliser une pareille charge à l’encontre des travers de la société américaine, un film aussi insolent, à mi-chemin entre le soap télévisé, le film de propagande militaire et le space opéra. Outrancier dans ses élans de bravoure, « Starship Troopers » est une œuvre intelligente et jouissive à la fois.
Forcément critique à l’égard de cette société, le spectateur est néanmoins transporté par la musique héroïque et mémorable de Basil Poledouris au point de se retrouver tiraillé entre sa bonne conscience et ses instincts primaires. Pas étonnant qu’une certaine frange de la critique ait préféré condamner le film plutôt que de se poser des questions sur les raisons qui les poussaient à vibrer pour ces gueules d’anges qu’on aurait tendance à baffer en temps normal. « Voulez-vous en savoir plus ? »