Point d’orgue d’une des trilogies les plus intéressantes de ces dernières années, « La Planète des Singes : Suprématie » s’impose comme un blockbuster de haut vol, qui fait honneur à son modèle et à la série B en général.
On avait laissé l’humanité à deux doigts de l’extinction et le peuple des singes déchiré entre des ambitions pacifiques et l’envie d’en découdre une bonne fois pour toutes avec ses anciens maîtres ; c’était à la fin de « La Planète des Singes : L’affrontement », deuxième volet d’une saga qui raconte sous un angle nouveau les événements supposés aboutir à l’intrigue du classique « La Planète des Singes » de 1968. Un dénouement abrupt qui augurait du meilleur pour la suite de cette résurrection de la célèbre franchise de science-fiction. Résurrection parfaitement improbable, pour être honnête, que l’on avait d’abord sentie comme mercantile et périlleuse. Comment ne pas se souvenir de l’échec cuisant du remake de Tim Burton en 2001 ?
C’était sans compter les bons scénarios, les solides effets spéciaux et les choix efficaces de ces deux nouveaux « reboots » (ou préquelles), qui ont rencontré un peu partout les faveurs du public et des critiques. Au point de donner aujourd’hui naissance à un troisième opus supposé conclure, du moins pour un temps, le récit de la genèse de la planète des singes. Une genèse qui passe ici par la guerre inévitable entre l’humanité décimée par un virus et réduite à quelques poignées de survivants, et la population simiesque qui poursuit son évolution intellectuelle époustouflante déclenchée par ce même virus. À la tête de ces deux factions, deux personnalités que tout oppose : César, le leader des singes charismatique doté de parole qui, vieilli par des années de lutte, souhaiterait enfin conclure une paix avec les hommes ; le Colonel, mégalomane auto-proclamé chef d’un micro-état militarisé, déterminé à exterminer les singes et à replacer l’homme dans sa position dominante. Au terme d’une offensive meurtrière contre les siens, César abandonne son vœu pieu et se lance dans une mission vengeresse en compagnie de quelques fidèles. Une équipée suicidaire qui le mènera, passés bon nombre de rebondissements, au cœur de la dernière forteresse des hommes, où se jouera définitivement l’avenir des deux espèces.
Derrière la caméra de « La Planète des Singes : Suprématie », on retrouve à la réalisation le brillant Matt Reeves (« Cloverfield »), auteur du précédent film. Du côté des singes, ce sont les mêmes comédiens qui rempilent, ces as de la « motion capture », invisibles derrière les faciès et les fourrures d’animaux recréés avec un réalisme saisissant. Andy Serkis, qui incarne une troisième fois César, est impressionnant de justesse, jouant avec la même assurance le chef sage et déterminé, traversé pour la première fois par des sursauts de violence, ou miné par les années et les déceptions. Chez les humains, c’est une fois encore table rase, comme au départ de « La Planète des Singes : L’affrontement ». Aucun personnage des deux premiers films ne revient ou n’est même évoqué. Ne restent que quelques militaires hagards, avec à leur tête Woody Harrelson en Colonel messianique, qui assume pleinement sa filiation avec le colonel Kurtz de « Apocalypse Now ».
À partir de ce canevas de film de guerre un peu basique, Matt Reeves se lance dans un ambitieux film de science-fiction, qui convoque autant le cinéma de papa (« Les douze salopards », « La grande évasion ») que les grands délires high-tech de ces dix dernières années. Tirant le meilleur parti de la durée généreuse du long-métrage (2h20), il étire au maximum la tension des scènes de suspense et d’action, et imprime aux scènes d’exposition une lente cadence. On se surprend ainsi à passer une bonne partie du film à admirer des paysages somptueux et de longs plans fixes sur les visages des singes, à apprécier le soin impressionnant apporté aux détails des effets spéciaux, à écouter les respirations au cœur de nombreuses scènes quasiment muettes. En osmose avec ce rythme bridé, inhabituel pour un blockbuster, le compositeur Michael Giacchino livre une partition exceptionnelle, faite de motifs minimalistes obsédants et d’envolées élégantes qui évoquent immédiatement le regretté John Barry.
Au rayon des défauts du film, on regrettera quand même une tonalité générale parfois étouffante, très premier degré, à laquelle les apparitions du singe ermite interprété par Steve Zahn apportent un peu de légèreté bienvenue. On reprochera aussi le recours à certains symboles peu subtils, inévitable pour une franchise qui a déjà largement puisé dans les possibilités de métaphores et de réflexion morale offertes par l’inversion de la hiérarchie entre homme et animal. Ces réserves mises à part, « La Planète des Singes : Suprématie » est un spectacle total, la contre-indication parfaite aux poids lourds ineptes qui inondent habituellement les salles obscures.
War for the Planet of the Apes
(La Planète Des Singes – Suprématie)
US – 2017 – SciFi
Réalisateur: Matt Reeves
Acteur: Andy Serkis, Judy Greer, Woody Harrelson, Steve Zahn, Ty Olsson, Sara Canning
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02.08.2017 au cinéma