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mercredi, décembre 25, 2024
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« Contes des chrysanthèmes tardifs » : une fresque sociale fondamentale

En 1939, bien avant sa reconnaissance internationale du début des années 50, le premier génie du cinéma japonais Kenji Mizoguchi signe probablement l’un de ses plus grands films. « Contes des chrysanthèmes tardifs », fresque au réalisme sociale acéré, est une œuvre fondamentale autant pour ses qualités cinématographiques que pour ses thématiques visionnaires. Bien que tourné tout entier vers la culture et la société de son pays, le film de Mizoguchi s’avère universel et, force est de constater, aussi intemporel que ses sujets, de l’amour impossible à la place de la femme dans la société.



À la fin du XIXe siècle, Kikunosuke est un acteur de théâtre kabuki qui, malgré sa médiocrité, est encensé par toute la société tokyoïte car il est le descendant d’une très célèbre et prestigieuse famille d’acteurs. Un soir, la modeste servante Otoku lui avoue qu’il n’a pas de talent et que personne n’ose le lui dire. Ravi de cette franchise, Kikunosuke se lie d’une amitié sincère pour la servante qui se transformera bien rapidement en amour interdit entre deux jeunes personnes de classe sociale opposée. Privilégiant les sentiments à la carrière artistique, il fuit sa famille pour vivre avec Otoku, laissant l’aisance et le confort derrière lui. Le film décrit la jeunesse de Kikunosuke, déchirée entre l’honneur familial et son amour pour la jeune femme ainsi que le sacrifice de cette dernière et sa pleine dévotion à l’art de Kinosuke.

Mizoguchi, se remémorant peut-être sa propre carrière, fait l’éloge de la persévérance et de l’expérience au détriment du talent. Son personnage principal n’est qu’un héritier sans mérite au début du film et son accomplissement personnel passe par la découverte de la misère et de l’échec. C’est précisément la connaissance de la peine et du désespoir qui sont les clés d’une créativité sincère et profonde. Traçant en parallèle la transition d’un Japon de tradition vers un Japon moderne, Mizoguchi augure, sans jamais renier la culture de son pays, une ouverture du Japon vers le monde au moment où l’autoritarisme vit ses heures de gloire (le film étant sorti en 1939).

La femme est l’autre centre du film, à tel point que tout ne semble être finalement que prétexte à exposer l’histoire déchirante d’Otoku, jusqu’à nous faire douter du réel sujet du film. Et si la jeune femme, qui sacrifie d’abord sa vie pour l’émancipation de Kikunosuke, puis son amour pour la réussite de la carrière de son compagnon, n’était pas le vrai personnage principal de l’œuvre ? Formidablement en avance sur son temps, Mizoguchi ne cesse de mette en lumière le travail intime de la jeune femme, jusqu’à faire s’incliner devant elle le patriarcat dominant qui la répudiait au début du film. Même si la fin, certainement l’une des plus belles de l’histoire du cinéma, laisse ironiquement à penser que Kikunosuke et sa famille, défilant sous les acclamations du public lors de la séquence finale, sont les gens d’honneur de cette histoire.


« Contes des chrysanthèmes tardifs » est également doublé d’un formidable mélodrame classique, où l’amour sous sa forme la plus pure parvient encore à se faire entendre, même étouffé par les barrières sociales, sans jamais sombrer dans le spectacle de l’intime ou la naïveté. La poésie évidente qui guette toute l’œuvre de Mizoguchi n’est pas étrangère à la grâce et à la pudeur avec lesquelles il retranscrit même les plus irrationnels des sentiments humains.

Et ce calme efficace provient principalement de la mise en scène du film. Géniale en tous points, certainement inégalée en terme de plans-séquences, d’une précision redoutable et d’une douceur indicible, la réalisation de Mizoguchi mériterait autant d’éloges qu’il n’y a de scène dans le film. Appliquant soigneusement (à quelques exceptions près) son principe qui ne permet de changer de plan qu’au changement de scène, Mizoguchi prouve avec vigueur qu’il n’est nul besoin de montage épileptique pour transmettre un ressenti, une action, une émotion. Et penser que son principe est trop théâtrale serait oublier que le maître sait, d’un simple pivotement de caméra ou d’un travelling discret, changer constamment de point de vue, avec une habileté qui force le respect. Ses plans-séquences se succèdent comme des tableaux vivants, qu’il compose avec minutie en disposant ses personnages et son décor de manière réfléchie, qu’il encadre (ou recadre) avec les portes, les bâtiments, les fenêtres à sa disposition comme pour mettre en abime le théâtre et le cinéma, qu’il déploie tout au long du film comme autant de moments de puissance et de charme.

Quelques lignes ne suffiront de toute évidence pas à détailler les qualités innombrables du cinéma de Mizoguchi mais pourront suffire à recommander à tous ceux qui s’intéressent au septième art de voir ou revoir le chef d’œuvre d’un de ses artistes les plus importants.

Réalisateur: Kenji Mizoguchi
Avec: Shōtarō Hanayagi, Kakuko Mori
Distributeur: Carlotta Films

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