Le 26 septembre 2008 disparaissait Paul Newman. Avec lui s’éteignaient les plus beaux yeux du cinéma américain, une véritable légende hollywoodienne dont la carrière cinématographique de près de cinquante ans était émaillée de très nombreux films, entre autres « La chatte sur un toit brûlant » (1958), « Butch Cassidy et le Kid » (1969), et « L’arnaque » (1973). Alors, c’est vrai, on aurait pu vous parler de ceux-là. Mais on ne le fera pas car l’un de ses meilleurs rôles lui fut donné en 1967 avec « Luke la main froide » grâce auquel il a obtenu un Oscar.
Nos films préférés on les découvre la plupart du temps par hasard. Celui-ci ne déroge pas à la règle. La première fois que je l’ai vu, je n’étais pas bien grand, mais suffisamment quand même pour voir le film de deuxième partie de soirée lors de la malheureusement disparue « Dernière Séance » le mardi sur FR3. J’étais déçu, ce n’était pas un western. Non, pas de John Wayne, très à la mode à l’époque, pas de cow-boy, mais un prisonnier révolté, un certain Paul Newman. Et quel personnage ! Pas de six-coups, pas de lasso, mais un culot, un humour, un charisme, et un prénom, Luke, qui revenait tout le temps. Le choc !
Un rejet systématique de l’ordre
Au cours d’une soirée arrosée, Luke arrache un nombre intéressant de parcmètres. Suffisamment pour écoper de deux ans de travaux forcés dans un bagne de Floride. Après une période d’observation et d’affrontement, il va se mettre tous ses congénères dans la poche, et devenir un leader respecté et aimé. Avec les gardiens de prison, en revanche, c’est une toute autre histoire. Luke considère comme injuste son incarcération et rejette systématiquement, qui plus est avec insolence, les règles arbitraires édictées par le personnel pénitentiaire. Il répond mal, tente de s’évader, y parvient, une fois, deux fois malgré les sanctions graduelles qui l’attendent : isolement, privation de nourriture, chaînes aux pieds, jusqu’à l’affrontement final.
Tout cela paraît simple, mais il y a un je-ne-sais-quoi de plus dans ce film. Un mélange de simplicité, de tristesse, et de désenchantement. Car Luke se bat, mais hélas vainement contre tout un système qui n’est pas fait pour lui. Il lutte pourtant, tente de renverser les tendances, tente de faire bouger les choses, mais inéluctablement perd pied, et voit davantage d’obstacles dressés sur sa route. C’est d’autant plus difficile pour le spectateur carrément acquis à sa cause devant son sourire qui ne le quitte jamais. Il prend des coups, il sourit. Il gagne un concours improbable (manger cinquante œufs en une heure !), en est épuisé, mais sourit encore. Il voit sa mère pour la dernière fois, il sourit toujours. Il reçoit un ordre qu’il trouve grotesque, il sourit. Même quand il est trahi, il sourit inlassablement.
De magnifiques images
Si on parle de Paul Newman, n’oublions pas non plus les autres acteurs. George Kennedy, alias Dragline, grand benêt sympathique de la prison et ancien chef de file de tous les prisonniers, dont le prénom préféré est… (je vous laisse deviner lequel…) qu’il doit bien prononcer une bonne cinquantaine de fois. Cette performance lui valut d’ailleurs un Oscar du meilleur second rôle. Et le capitaine aux lunettes noires, constamment vissées sur son visage, campé par un Strother Martin, qui ne laisse passer aucun sentiment. Le réalisateur Stuart Rosenberg est également à féliciter. Il a su bâtir un film esthétiquement réussi comportant des scènes mythiques.
« Luke la main froide », c’est aussi le combat pour le leadership entre Luke et Dragline, remporté aux poings par le second, le plus costaud mais moralement gagné par Luke qui « revenait avec rien, au bluff ». C’est aussi le fameux pari : cinquante œufs mangés en une heure. Ce sont toutes ces scènes de travaux forcés, vains et difficiles, sur le bord de la route sous une chaleur accablante et encore une musique de fond impeccable (merci Lalo Schifrin !), qui donne un côté daté mais très authentique au film. C’est enfin le sourire de Paul Newman, sourire extraordinaire d’un acteur étonnant. A l’instar de Luke, il s’est évadé. Espérons que la sanction ne soit pas trop rude.
[EB]