Nicolas Winding Refn défraye une nouvelle fois la chronique à Cannes avec The Neon Demon, tableau horrifique sur le monde de la mode, dont le mordant manque cruellement de relief.
Après nous avoir époustouflé avec Drive – son film coup de poing couronné du prix cannois de la mise en scène en 2011 l’ayant propulsé au rang de véritable arty de la pop-culture – et moins enthousiasmé avec Only God Forgives – reparti bredouille de la compétition en 2013 – Nicolas Winding Refn troque la violence physique de Ryan Gosling pour la beauté meurtrière d’Elle Fanning, goûtant à la cruauté du mannequinat dans The Neon Demon. L’actrice américaine incarne une (très) jeune beauté à l’état pur, débarquant à Los Angeles avec l’ambition de réussir dans le monde de la mode. Sa naïveté et sa fraicheur lui permettront une ascension aussi rapide que parsemée d’embûches. La brutalité des photographes, la perversité de son maitre d’hôtel, la jalousie maladive de ses collègues anorexiques et botoxées, sans compter les pulsions sexuelles de sa maquilleuse.
Le réalisateur danois aurait il mal pris le bâchage de son précédent film peu de temps après l’élan de popularité post-Drive ? Au vu de la radicalité de sa nouvelle œuvre – usant pour beaucoup d’une provocation à la fois malsaine et jouissive -, Refn semblerait faire un énorme doigt d’honneur au Festival de Cannes, jouant le mauvais garçon rebelle fier de son art, poussant jusqu’au bout ses idées morbides et son regard destructeur sur le monde qu’il dépeint. On ne peut lui reprocher une cohérence certaine, ne s’écartant jamais de sa trajectoire, assumant un propos décalé à tout prix. Nicolas Winding Refn sait exactement où il met les pieds, et joue de son effet qu’il réussit parfaitement à produire. Difficile également de lui reprocher la construction fluide de son film et sa progression vers la tragédie immorale et excessive, qui suinte l’hémoglobine. Politiquement incorrect et résolument trash, à l’image du milieu de la mode, finalement, dont l’atrocité et l’absurdité sont copieusement labourées au couteau par le metteur en scène. Il faut l’avouer, sur la pertinence et la cohérence du propos, on acquiesce.
Que reprocher ensuite à sa mise en scène, assurément la plus bluffante de cette compétition ? Tout est soigné et pensé à merveille. Chaque plan est tableau, où l’on s’immisce instantanément avec perversion. Le visuel, les décors, tout est d’une beauté affolante. Que peut on redire du travail sur les lumières et les couleurs ? Entre érotisme et électricité, fantasme et cauchemar, les tons rougeâtres et bleutés transforment peu à peu la pureté de l’héroïne en démon de la mode, déchainant les passions de tous bords. Les néons et les triangles subliment les fresques envoûtantes de Refn, qui écrivent peu à peu la descente aux enfers de la belle. Le plan d’ouverture est probablement le plus abouti, une parfaite entrée en matière mystérieuse et fascinante, avant que le film ne sombre dans la surenchère dans sa dernière partie.
Là où pèche réellement The Neon Demon, c’est dans son obstination visuelle, à trop soigner ses détails en oubliant de cueillir son spectateur. Une sorte de représentation artistique où la propre estime de l’auteur ne laisse aucune place à ses actrices. Un manque cruel d’intensité, comme si tout était immobile et que l’on assistait à une succession de peintures sans vie, sans âme. La puissance de l’image ne s’accorde jamais avec le récit, trop creux, laissant une impression d’inachevé malgré le jusqu’au-boutisme de sa photographie, n’atteignant pas la virulence escomptée. Si l’on reste ébahit devant un tel spectacle esthétique, le frisson, lui, est le malheureux absent du cadre.
The Neon Demon
De Nicolas Winding Refn
Avec Elle Fanning, Jena Malone, Bella Heathcote, Abbey Lee
Sortie le 8 juin 2016