Rencontre avec Jenna Hasse, comédienne et réalisatrice du court-métrage « En Août », sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2014 !
Pouvez-vous en quelques phrases nous présenter votre parcours ?
Je suis née à Lisbonne, au Portugal. Mon père est portugais et ma mère est Suisse. J’ai vécu là-bas quatre ans puis nous sommes venus à St-Cergue en Suisse dans le canton de Vaud en dessus de Nyon. J’ai fait mes écoles sur la Côte entre St-Cergue, Genolier, Gland puis en 2004 j’ai déménagé à Rolle. J’ai ensuite fait mon gymnase à Morges puis des études à Lausanne et Genève. J’ai ensuite passé quatre ans à Bruxelles pour mes études de comédienne et maintenant je vis entre la Suisse et Paris.
Vous avez d’abord commencé par apprendre l’Histoire et l’esthétique du cinéma avant de vous lancer comme comédienne et réalisatrice, pouvez-vous nous parler de cette expérience et en quoi cela vous a-t-il aidé pour la suite ?
Durant mon gymnase, j’ai beaucoup joué au théâtre. Je suivais des cours dans différents endroits et je jouais dans des groupes de théâtre amateur. Durant cette période, j’ai rencontré un metteur en scène très érudit et passionnant. Il m’a fait découvrir beaucoup de textes classiques et nos heures de travail se passaient tant sur le plateau, à travailler le corps que autours de la table. Il nous parlait des auteurs, des contextes historiques de l’écriture des pièces. C’était un monstre de savoir et de transmission, un grand pédagogue ! A cette même période au Gymnase, je découvrais des romans en classe de français qui m’ont véritablement marqué et je réalisais un film dans le cadre d’un travail de fin d’étude.
C’était donc une période partagée entre la pratique du théâtre et la découverte d’auteurs très importants comme Tchekhov, Shakespeare, Corneille, Racine et puis aussi Yourcenar, Ramuz, Pinter. En faite, en allant à l’université j’avais simplement envie de prolonger ça. J’avais envie, besoin de rencontrer d’autres grands hommes à travers les livres mais aussi en vrai, des hommes et des femmes comme ce metteur en scène.
« Si vous voulez faire du cinéma, ne prenez pas l’exemple sur moi, moi là j’ai plein de fric, c’est facile, mon fils est à la musique, je reprends mon équipe et on va tourne, bref je ne suis pas un exemple… » Claude Chabrol
J’ai étudié le français et le cinéma pendant une année à Lausanne. Le français d’une certaine manière pour le théâtre et les textes et le cinéma pour le cinéma. J’ai suivi les cours de Freddy Buache à la Cinémathèque, c’était un moment vraiment fort et qui restera, je crois, graver dans ma tête pour longtemps. J’ai découvert l’histoire de l’âge d’or du cinéma, le cinéma des premiers temps, c’était riche. Mais étant quelqu’un d’impatient, à peine après les premiers mois, je voulais jouer, je voulais « faire » à tout prix. Claude Chabrol était venu à la Cinémathèque parler de ses films, j’avais vu « Le Beau Serge » que j’avais adoré et il nous avait dit quelque chose comme : « Si vous voulez faire du cinéma, ne prenez pas l’exemple sur moi, moi là j’ai plein de fric, c’est facile, mon fils est à la musique, je reprends mon équipe et on va tourne, bref je ne suis pas un exemple… »
J’avais bien compris ce qu’il voulait dire, pour nous, pour un jeune cinéaste les choses n’allaient pas se passer de la même manière mais j’avais aimé la franchise avec laquelle il parlait. Il parlait de « la manière » dont il faisait les choses. Ce qui je pense est très important quand on fait du cinéma, enfin de l’art en général. Sa carrière l’avait mené à cet endroit là et il faisait avec cette donnée.
Pouvez-vous nous parler de votre relation au métier d’acteur, autant au théâtre qu’au cinéma ?
Je n’ai pas encore vraiment beaucoup d’expérience. Je n’ai pas encore assez joué, je crois, pour en parler à fond. Pour moi, actuellement, le cinéma est une aventure, c’est un peu comme partir en vacances, on va dans un endroit et on tourne et on fera la prise un certain nombre de fois, mais il y a quelque chose d’unique qui va s’imprimer quelque part et on ne pourra plus le changer. Je dis partir en vacance car pour moi il y a quelque chose autour de la perte de contrôle. Au cinéma, le jeu se rapproche plus de la perte que de la maîtrise. Au théâtre même si au final on cherche un endroit tenu, le jeu demande une plus grande maîtrise du corps et de la voix. Au cinéma on coupe dans le corps de l’acteur, au théâtre il est là en entier et donc il en plus responsable.
« En Août » est votre premier court-métrage, comment l’envie de réaliser un film vous est-t-elle venue ?
J’ai commencé à jouer au théâtre à 10 ans dans un groupe de théâtre pour enfant. Je sais plus très bien pourquoi. J’avais dû voir des enfants de mon école jouer un spectacle et je m’étais dit : « Pourquoi pas moi ! ». Ensuite, je pense que c’est devenu un peu une drogue. La seule manière pour moi de pouvoir continuer à jouer était le théâtre, car faire du cinéma à 13 ans c’est compliqué. Je n’étais pas entourée de gens qui en faisait donc le moyen premier était de suivre des cours de théâtre et jouer dans des compagnies amateurs. Et voilà de fil en aiguille j’ai rencontré une fille qui étudiait à la HEAD en cinéma et j’ai joué dans un court-métrage. J’ai vu des plateaux de tournage, j’ai lu des scénarios et du coup directement après cette expérience j’ai réalisé un film moi-même et j’ai joué dedans. Et ensuite, j’ai voulu faire mieux, donc j’ai continué à écrire et je suis rentrée dans une école de théâtre. J’avais écrit un autre scénario, un peu compliqué. Mes amis m’ont conseillé de faire quelque chose de plus simple et « En Août » est né ainsi. Je suis partie d’une donnée simple : deux acteurs, une pièce. Puis j’ai évidemment quitté la règle et le film est né.
Pouvez-vous nous relater les différentes étapes du projet « En Août », écriture, tournage, montage, etc. ?
L’écriture a été assez rapide. L’idée de traiter du départ d’un père était une histoire que j’avais envie de raconter depuis longtemps. J’ai d’abord tout centré au sein de la salle de bain, puis est venu le deuxième lieu la voiture. Au début, la scène de la voiture n’était pas écrite ainsi. Je suis partie faire les repérages en juillet avec ma sœur et on était dans une décapotable qu’on m’avait prêté, je me suis dit qu’il fallait absolument faire une scène dans une décapotable. Le tournage a ensuite eu lieu sur deux jours et demi. J’ai rassemblé une petite équipe, ma mère faisait les repas et on a tourné. Mon ami, Thomas Marchand, est monteur de cinéma. Il a été présent sur le tournage et c’est lui qui a monté le film. Lui et Roland Edzard, mon chef opérateur, ont été très importants pour moi. Cet été, je tourne un autre court-métrage et ils seront bien évidemment de la partie.
Votre court-métrage à été sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes en 2014, comment avez-vous vécu cette expérience ?
La Quinzaine… la première invitation que j’ai reçu pour ce film… C’était un honneur ! C’était dingue. Moi ce que je voulais faire c’était le suivant. Je ne pensais pas du tout que « En Août » allait voyager comme ça.
On est parti toute l’équipe à Cannes. Je crois que sur le moment, j’étais très heureuse, mais voilà je ne me rendais pas très bien compte. C’est seulement maintenant que je vois à quel point l’aventure de ce film porte ses fruits aujourd’hui.
Comment « En Août » poursuit-il son parcours après Cannes et vous a-t-il ouvert des portes et opportunités ?
Après la Quinzaine « En Août » est parti en voyage aux quatre coins du monde. Il est allé dans plus de quarantaine festivals. Je ne suis pas allée partout mais j’ai eu la chance de voyager un peu et de rencontrer énormément de gens. Ces rencontres permettent de penser et d’élaborer de nouveaux projets, on rentre dans une famille en faite, la famille du cinéma et on apprend.
Quelles sont vos références en tant qu’actrice tout d’abord, et ensuite en tant que réalisatrice ?
Je ne sais pas si j’ai des références, j’ai des films, des gens qui m’ont marqués. John Cassavetes et Gena Rowland. Autant leurs films que leur jeu. Tout, leurs histoires, la manière dont ils ont fait des films. C’étaient des gens dingues, mais vraiment dingue, avec tout ce que ça comporte de génial et de douloureux et ils les ont mis dans leur film et ça c’est fort. C’est une époque aussi peut-être…
Il y aussi une actrice comme Cate Blanchett dont je suis très admirative. Je l’ai vu au théâtre, c’est une comédienne incroyable. Elle est actrice et elle dirige aussi un théâtre avec son mari en Australie. C’est une grande dame pour moi, son intelligence et sa folie se reflètent dans ses rôles.
Quels sont les films qui ont marqués votre vie, vos films de chevets ?
Il y en a plusieurs et ça change aussi. Les films on les voit à différents moments et ce n’est pas la même chose.
Il y a « L’Avventura » et « L’Eclipse » d’Antonioni. A travers ces deux films j’ai découvert des personnages en perte, en tant que spectateur on ne sait plus pourquoi ils agissent c’est le temps qui devient comme le «personnage» principal, qui fait avancer les personnages et non plus leur volonté propre.
Les films de Nicholas Ray, « Rebel without a cause » et « Bigger than life ». Parce que c’est écrit comme des tragédies, on sait presque dès le début que ça va mal finir et on est en tension tout le temps. Les personnages sont des anti-héros, toujours dans le doute et l’interprétation des acteurs comme par exemple James Dean dans « Rebel without a cause » est magistral.
Il y a aussi « L’Aurore » de Murnau. « Tabu » et « Ce cher mois d’août » de Miguel Gomes et les films de Jane Campion, « La leçon de Piano » et « Bright star ».
Pouvez-vous nous parler de vos projets comme comédienne et comme réalisatrice ?
Je vais jouer en mai 2015 au théâtre Puloff à Lausanne « L’Echange » de Paul Claudel. C’est une pièce qui raconte l’histoire de Marthe, une jeune femme qui épouse un Américain de passage et qui le suit dans son pays. Là-bas, le nouveau marié la trompe avec la femme de son patron, puis il finit par la vendre, afin de s’enfuir, en emportant un joli paquet de dollars. Il s’agit de mon premier rôle “professionnel” depuis ma sortie d’école en juin. On a créé la pièce en octobre 2014 à Genève et je suis très heureuse de la reprendre en mai à Lausanne. Le théâtre de Claudel c’est avant tout une langue et c’est magnifique. Je suis très heureuse d’avoir la chance de pouvoir jouer des textes aussi riches et de pouvoir le faire entendre. Lire Claudel c’est dur, complexe mais à voir c’est d’une extrême sensualité et aussi d’une vraie violence. C’est de la tragédie !
Du côté du cinéma, je prépare mon prochain court-métrage que j’aimerais tourner cet été au Portugal.