Dans quel contexte s’est passée la préparation de ce festival ?
– Je suis initiateur de ce festival et Genève étant une ville réputée capitale internationale des droits de l’homme, on a vu qu’il n’y avait pas de festival sur la question. Donc on a monté un festival avec une double démarche. La première est une démarche artistique avec les films, parce que pour parler des droits de l’homme, il faut que les films aient une qualité artistique incontestable puisque cette dimension est absolument nécessaire pour parler du réel. La deuxième démarche était de se mettre en face du conseil de l’ONU. Ce conseil des droits de l’homme est constitué par des représentants des états membres, qui se taisent sur beaucoup de violations. Donc en face, on est une tribune libre, un forum, qui dénonce sans aucune complaisance les violations partout où elles se produisent. Cette année, on a encore la preuve que le concept n’a pas changé puisqu’on a un programme de films de documentaires de création, et un programme de « fictions et droits de l’homme ». Chaque soir il y a une thématique pendant laquelle on va parler de certaines violations. Dès le premier soir, il y a une thématique avec un film en compétition en tant que documentaire de création sur la question de la Syrie. Mais cette dernière étant extrêmement vaste, on a voulu mettre en avant ce que l’on appelle « la 3ème voie » mais qui serait en réalité « la première voie ». En effet, ce sont ceux qui sont à l’origine de ces révoltes, des laïcs, démocrates, qui maintenant sont débordés par des djihadistes et d’autres groupes. Il nous semblait important de reparler de ces gens-là qui continuent d’exister.
C’est une manière de s’inscrire dans une continuité par rapport au festival de l’année dernière avec l’actrice syrienne Fadwa Suleiman, qui fut la présidente du Jury ?
– Oui ! C’est la troisième année que nous parlons de la Syrie. La première année, c’était le soutien au peuple Syrien. La seconde année, la situation était devenue soudainement beaucoup plus complexe sur le terrain, et cette année c’est encore différent. Mais ce qui n’est pas différent c’est que les violations qui s’y passent sont toujours aussi atroces. Je lisais aujourd’hui encore que le viol est une arme de guerre qui n’avait encore jamais été autant pratiquée. On ne peut pas rester indifférent, et c’est peut-être là que le festival joue un rôle important. Genève est une ville plutôt confortable, et ce que l’on peut faire d’ici, c’est répercuter la parole des défenseurs et des opposants qui risquent leur vie sur le terrain. C’est une chose que le public a compris, même dans la jeunesse. On raconte souvent que la nouvelle génération se moque de tout, ce n’est pas vrai. Il y a une véritable recherche de sens et une indignation extrêmement importante puisqu’elle permet à certains de s’engager et de prendre conscience de ces problèmes.
Y a-t-il une thématique principale pour cette nouvelle édition ?
– Il n’y a pas de thématique principale dans ce festival. Chaque soir c’est une nouvelle thématique. Mais il y a globalement un principe qui traverse un peu toutes les thématiques ; l’article 19 de la déclaration universelle des droits de l’homme : « Tout individu a droit à la liberté d’opinion et d’expression ». S’il y a répression, il n’y a plus de liberté d’expression. Plus qu’une thématique c’est quelque chose d’extrêmement important et complexe. D’ailleurs on a vu récemment en France toute cette histoire avec Dieudonné. Tout d’un coup, les gens disaient que la liberté d’expression doit être totale et disaient qu’il fallait même tolérer les paroles racistes et fascistes. Pourtant ces propos vont tout de même à l’encontre de la déclaration universelle des droits de l’homme puisque même si l’article 19 défend la liberté d’expression, l’article 29 précise qu’il faut que cette liberté se fasse en accord avec les valeurs même de la déclaration universelle des droits de l’homme. Donc cette liberté n’est pas non plus totale. Quand je dis que la liberté d’expression est bafouée, je pense aux journalistes qui sont la cible des terroristes. Je pense à la Russie où l’on est en train de tuer et réprimer des défenseurs des droits de l’homme. On vient d’avoir un exemple avec les Pussy Riot qui ont été libérées grâce à la pression internationale et Sochi. Mais maintenant encore, elles sont régulièrement agressées parce qu’elles continuent de se battre. Et là elles viennent de se faire tabasser. La liberté d’expression est toujours violée. De même, un peu partout, des victimes de la précarité ou des travailleurs immigrés ne peuvent pas s’exprimer. Cette liberté est véritablement quelque chose de transversal que l’on retrouve dans toutes les parties du monde.
Concernant l’actualité de l’Ukraine, avez-vous déjà eu le temps de vous faire une opinion ?
– Je parle toujours d’un point de vue droits de l’homme. De ce point de vue-là, je suis vraiment admiratif du peuple ukrainien qui s’est mobilisé, battu et a résisté au point de réussir à faire plier le président autoritaire soutenu par Poutine. Ça me permet de dire que les violations des droits de l’homme, les gens ont l’habitude de penser que c’est tellement terrible que l’on ne peut rien faire, et que là on a la preuve du contraire car l’opposition a réussi à faire plier ce dictateur en herbe ! Une autre belle victoire qu’il y a eu il y a quelques temps, c’est en Tunisie, cette nouvelle constitution ayant été votée par les laïcs et les musulmans modérés. Ils se sont mis à applaudir ensemble cette nouvelle constitution. Il est très intéressant de voir que l’issue de ces révolutions n’est pas toujours terrible, et qu’il y a de beaux résultats.
Quelles évolutions souhaitez-vous voir à travers le monde pour la prochaine édition du festival ?
– (Rires) Idéalement, il n’y aurait plus de violations des droits de l’homme, ce serait formidable ! Mais je crois que malheureusement, il faut continuer à se battre. C’est ça qui est véritablement important. Un maximum de gens doit en prendre conscience et ils doivent continuer le combat. Donc ce que j’espère pour l’année prochaine, c’est l’amplification de cette lutte pour les droits humains, et qu’il y aura toujours plus de gens mobilisés en faveur de cette déclaration.
L’interview Vidéo de Léo Kaneman:
[Albéric Gros]